En France l’utilisation de la contraception orale connait un net recul : de 2010 à 2018 le pourcentage d’utilisation de la contraception orale chute de 50 à 32% pour les femmes âgées de 15 à 49 ans.
En même temps, en 2019, le nombre d’interruptions volontaires de grossesse y atteint son plus haut niveau depuis trente ans avec 232000 IVG pratiquées.
Que se passe-t-il donc ?
L’hypothèse avancée pour essayer de comprendre le rejet de la contraception orale est l’hormonophobie : la peur des hormones. Mais peut-on vraiment parler d’hormonophobie lorsqu’en France sont vendues chaque année 2,2 millions de boites de contraception d’urgence, dont 2/3 de boites de Lévonorgestrel contenant environ dix fois plus d’hormones que la pilule quotidienne ?
La réponse est peut-être ailleurs, dans la mutation sociétale profonde actée par la digitalisation : à l’ère ATAWAD anytime-anywhere-any device , tout ce qui n’est pas accessible immédiatement est perçu comme dangereux : la nécessité d’une consultation médicale et d’une ordonnance semble, non pas sécuriser la patiente, mais l’inquiéter.
Si l’ordonnance est nécessaire, pour l’utilisatrice, c’est que ce produit est dangereux. Pourtant la pilule œstroprogestative est déjà disponible sans ordonnance au Portugal, au Brésil, en Turquie et dans de nombreux Etats, sans qu’aucune étude scientifique ne rapporte des effets délétères pour la santé des femmes à ce sujet.
Bien au contraire, la littérature scientifique récente confirme ce que préconise le Collège Américain des Gynécologues-Obstétriciens depuis 2012 : la délivrance sans ordonnance en pharmacie de la contraception orale réduit les risques d’interruption de traitement, réduit le risque de grossesse non désirée, favorise l’usage de la pilule et l’empowerment des femmes et des filles.
La nécessité de l’ordonnance pour obtenir cette fameuse pilule semble bien créer une distorsion cognitive lui donnant une représentation de substance à risque pour la santé.
La pilule contraceptive existe et est délivrée dans de nombreux pays depuis plus de soixante ans.
Le monde a changé depuis la mise sur le marché de la pilule : la vulgarisation des connaissances scientifiques et l’accès libre à ces connaissances jusqu’à présent réservées aux professionnels de santé bouleversent le rapport public- professionnels et surtout modifient en profondeur comportements et représentations.
Grâce à la maitrise de leur fécondité, les femmes ont eu accès à l’autonomie génésique, les rôles sexuels deviennent égalitaires pour un nombre croissant de femmes, les femmes peuvent étudier, travailler et prétendre à l’autonomie économique.
Il est temps de redonner à la pilule sa banalité d’usage qui a émancipé des générations de femmes et a amélioré leur santé : depuis la mise sur le marché de la contraception orale, la population mondiale a triplé.
Bien sûr, de nombreux facteurs interviennent, mais il est impossible d’ignorer le rôle capital et l’apport historique de la contraception orale en faveur de la santé des femmes. Le temps est venu de généraliser la délivrance sans ordonnance de la contraception orale, ainsi qu’il en est déjà le cas pour de nombreux médicaments.
Ce travail a été sélectionné et présenté au 24e Congrès Genesis à Paris les 22 et 23 septembre 2022 et aux 23e rencontres d’Automne de la Société de Médecine Sexuelle d’Amérique du Nord (SMSNA) du 27 au 30 octobre 2022 à Miami.