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Rwanda : 27ème Commémoration. La trilogie des gémonies du génocide

Rwanda : 27ème Commémoration. La trilogie des gémonies du génocide

Rwanda : 27ème Commémoration. La trilogie des gémonies du génocide

/ SOCIETE / Wednesday, 07 April 2021 16:06

DE LA MEDIATION A L’IMMEDIATION DU GENRE PREMIER  

Par Dr Jean Mukimbiri  

INTRODUCTION 

« Avec les hommes politiques, il n’est que de savoir attendre. Ils finissent toujours par reconnaître loyalement leurs erreurs, à la seule condition qu’il soit trop tard pour les réparer », avertit André FROSSARD. Rien, peut-être, ne se prête mieux à la 27ème Commémoration des victimes du génocide qui a été perpétré contre les Tutsis… Commémoration, non pas du génocide, mais des victimes du génocide disons-nous, car on ne commémore pas un crime… Et quel crime en l’occurrence ! « Le crime des crimes… », un génocide qui ne fait plus aujourd’hui l’objet d’un débat d’identification. En témoigne, pour qui en doutait encore, le tout récent Rapport DUCLERT sur l’implication et sur la co-responsabilité de la France dans le méga-contentieux en cause : « un naufrage politique, militaire, diplomatique » ou, pour tout dire, « un naufrage intellectuel », d’après, tout aussi récemment, le prestigieux journal de l’Hexagone, à savoir LE MONDE.  

En faits de société, toute périodisation rigoureuse peut passer pour arbitraire. Pour, avec une précision quasiment électronique, en restituer les traces dénotativement écrites, l’origine de ce « Mal absolu » se trouve dans Trois Textes du Genre Premier qui, de longue date, de longue haleine et de longue main, vouent les victimes promises aux gémonies du génocide. Il s’agit, pour Les Trois Textes, des références fondatrices ci-après : Le Manifeste des BAHUTU (1957), Le Manifeste-Programme du Parti du mouvement d’émancipation hutu (Parmehutu1959), et Les Dix Commandements des BAHUTU (édition en 1959, réédition en 1994).   

Le présent article, dont la lettre et l’esprit figurent, in extenso, dans notre Mémoire au Master Européen en Médiation1, et dans notre Thèse de Doctorat2, vient contribuer à la mise en lumière des conditions objectives de la cause première du génocide en cause. Cela étant posé pour l’introduction, le développement obéira à l’articulation ci-après, avant de conclure, ou de ne pas conclure, tant le génocide devrait, toujours, relever de l’ordre de l’impensé, ou de l’ordre de l’inconçu :  

I. TEXTES DU GENRE PREMIER : qu’est-ce à dire ?Nature et fonction de la Trilogie à l’étude                               

I.1. Le Manifeste des Bahutu

I.1.1. Une réflexion philosophique ?                                                                                                                           

I. 1.2. La visée pragmatique                                                                                                                                     

I. 1.3. Un texte argumentatif   

I.1.4. Un texte polyphonique,ou de monologue ?                                                                                                      

I. 1.5. Objectivité, ou subjectivité ?              
                                                                                                                           

II. Le Manifeste-Programme du Parti du mouvement d’émancipationhutu : Parmehutu   
                               
                                                                                                  

III. Les Dix Commandements des Bahutu     
                                                                                           
 

PROCÉDONS POINT PAR POINT. 

I. TEXTES DU GENRE PREMIER : qu’est-ce à dire ? Nature et fonction de la Trilogie à l’étude

Qu’est-ce qu’un Texte du Genre Premier ? Interrogeons, pour y répondre, Naturel MIREILLE, dont l’approche aborde le texte littéraire « à travers ses composantes3. »  Il peut, dans le cadre largement ouvert de la critique littéraire, être d’emblée considéré que, par rapport au génocide énoncé et dénoncé, le tout premier texte français produit au Rwanda fait partie de la littérature française sur la matière. En référence au sens étymologique, ou au sens premier de « littérature », peuvent donc être considérés comme relevant du « genre premier », ces textes fondateurs du mythe hutu-bantou : « Le genre fonde le pacte initial de réception, qui détermine la recevabilité et les effets du texte (…)4. » Le Centre de Recherches et d’Information Socio-Politiques, qui donne son label au livre « Rwanda Politique » où paraît « Le  Manifeste des BAHUTU5  » suggère que ce dernier, qui en est extrait, est voulu bref essai politique. D’après Michel BAAR et Michel LIEMANS6, les caractéristiques distinctives de l’essai sont généralement au nombre de cinq : dimension philosophique, intention du discours, démarche argumentative, dimension polyphonique, objectivité versus subjectivité. La crédibilité scientifique de la démarche se fonde sur le modèle de l’interprétation qui intéresse ce domaine, par où transite notre recherche sur le concept d’une immédiation génératrice de génocide.  
 

I.1. LE MANIFESTE DES BAHUTU

I.1.1. Une réflexion philosophique ?                                                                                                                            

« Le Manifeste des Bahutu » souscrit-il au concept de médiation, ou verse-t-il, au contraire, dans l’immédiation ? S’il s’apparente à l’essai, « Le Manifeste » du 24 mars 1957 ne s’essaie pas à la pensée de la médiation. La littérature, instance s’il en fut de médiation des esprits, se situe, à ses yeux, au bas de l’échelle, sur l’échelle des domaines du savoir. Citons : « D’aucuns se sont demandé s’il s’agit là d’un conflit social ou d’un conflit racial. Nous pensons que c’est là de la littérature7. » Littérature… Du latin « littera »… Littéralement : parole écrite ou orale. La parole a un objet universel. Parmi ses objets, la race…   

Si les auteurs du « Manifeste des Bahutu » avaient justement pensé littérature, le problème social eût été distinct de celui de la « race » qui, en l’occurrence, n’a d’être, que d’être, non dans « la réalité des choses », mais dans la réalité de leur imaginaire, et la démarche du sens bon, ou du sens, eût suppléé au gros bon sens observé « dans les réflexions des gens. » Y-a-t-il, dans « Le Manifeste des Bahutu », quelque réflexion de nature, ou de portée philosophique, qui ait trait à la pensée de la médiation, sous le rapport ainsi postulé de « races ? » Les auteurs dudit « Manifeste » se refusent à l’élévation de leur note à toute réflexion de nature philosophique, ou simplement scientifique.  

Alors que le problème est dit fondamentalement «  racial »,  trouvé « grave », la question de la race est saisie, non en amont, dans son « essence », pour la recherche de sa réalité, de l’essence, des « déficiences », et des vertus attribuées aux « races », ou de leur fiction, pour le distinguer ou non de l’aspect « social », elle est cernée en aval, dans les effets pervers, dont l’« aigreur », la « peur », le « complexe d’infériorité », réel ou supposé, l’imminence, à moins de solutions rapides, d’une implosion sociale, d’une confrontation des « races » en présence, et du « torpillage » du dernier état des  acquis du développement, etc. La métaphore, ici, du « feu » et du « torpillage », n’aura pas été sans conséquence, pour la charge sémantique ou son potentiel de tragédie. La métaphore vient annoncer la déparure des « nobles » ?  

Les « éclaircissements » annoncés à l’introduction, la passable systématisation qui est signalée   pour la conclusion, concerneront, non la cause du mal, à savoir la « race », mais ses symptômes, les pustules. Un amalgame est entretenu entre « race » et « caste », dont l’on présente telles proportions, sans montrer les critères scientifiques qui ont gouverné leur élaboration, ou présidé à leur établissement. L’origine à laquelle le mal « social » est imputé n’est pas davantage scientifiquement décrite. Le recours à des schèmes de langage et de pensée du Moyen Age occidental, pour caractériser et qualifier les relations « sociales » du Rwanda précolonial, pose, notamment, des problèmes fondamentaux de traduction, ou de projection, facile, dont « Le Manifeste des Bahutu » semble ne pas devoir se préoccuper.  

Analyse n’est pas faite, - mais une simple allusion, ou un simple jugement de valeur -  sur les causes profondes de la situation actuelle, en fait, d’« ethnocide »: « La situation actuelle », affirme péremptoirement « Le Manifeste » en objet, « provient en grande partie de l’état créé par l’ancienne structure politico-sociale du Ruanda, en particulier le « BUHAKE », et de l’application à fond et généralisée de l’administration indirecte, ainsi que de la disparition de certaines institutions sociales anciennes qui ont été effacées sans qu’on n’ait permis à des institutions modernes, occidentales correspondantes, de s’établir et de compenser 8. » Le débat n’est pas approfondi, sur l’« ethnocide », qui est comptable de la situation.  

D’une analyse approfondie de la question, aurait pu découler, en effet, une réinterprétation, une intégration culturelle, qui tiennent du passé, et s’accordent méliorativement aux formes modernes de participation. Or, voilà que toute médiation logique est escamotée, voire élaguée. « Le Manifeste des Bahutu » reconnaît pourtant qu’il y a eu un « ethnocide » imputable à la colonisation. Ethnocide : c’est-à-dire destruction d’un peuple sur le plan culturel… De 1957 à 1994, le changement souhaité, de toute force voulu par « Le Manifeste des Bahutu », n’obéira jamais aux lois d’intégration ou de réinterprétation culturelle. Au lieu de cela, on observe chez ses auteurs, le refus, irrévocable, de détacher l’aspect social du problème racial : « c’est de la littérature », disent-ils.  

Comme principes fondateurs de la démocratie, le primat  indûment accordé, par leur « Manifeste » du 24 mars 1957, à la « race », l’extranéisation d’une vieille composante de la société, le gommage, sans réinterprétation culturelle, de faits et de facteurs de cohésion dans l’équilibre et dans l’harmonie d’antan, l’évocation du droit du premier occupant, du droit du nombre en lieu et place des droits inaliénables et des droits politiques, l’assimilation inconsidérément de l’individu à la « race » qu’on lui prête, l’inscription d’une logique de confrontation de races en démocratie, l’édification d’un système politique fondé, non sur la promotion de principes, de codes,  d’institutions, de lois ou de règles valorisant l’individu,  mais sur la « race », vont, à terme, instaurer une culture toute aux antipodes de la médiation.  

Il n’était pourtant pas impossible de ne pas s’enfermer dans « la pensée binaire », pour le contexte précis du Rwanda, où Hutus, Tutsis et Twa constituent l’éternelle triade de « la famille traditionnelle comme principe de cohérence de la société9. » Sur un plan de la plus grande généralité, le schéma social rwandais aurait pu salutairement s’inscrire dans le cadre d’une « pensée ternaire. » « La pensée binaire », précise G. M. HOFNUNG, « enferme dans une alternative limitée, le vrai le faux, le bien le mal. Elle bride a priori les possibilités de l’imagination d’un ailleurs en dehors de 1 ou 2. La méthode thèse-antithèse-synthèse a permis de sortir de l’enfermement. Dans cette perspective, la médiation est un des concepts majeurs de la philosophie… La supériorité d’une réflexion ternaire par rapport à une pensée binaire est qu’elle humanise l’homme. De plus, la pensée trinitaire permet d’accepter l’autre et la différence en général10. »   

En conclusion sur le statut générique du « Manifeste », dans son rapport à une réflexion philosophique rapportable à la pensée de la médiation, l’auteur collectif du « Manifeste des Bahutu » expose ses convictions, à travers une méthode analytique qu’assume l’expressivité d’un « nous » qui exclut la médiation. Quelle est donc l’« intention » du « Manifeste des Bahutu ? » Quelles en sont les aspirations les plus profondes ? 


I.1.2. LA VISEE PRAGMATIQUE                                                                                                                                    

L’« intention » d’un discours est susceptible d’être lue à la lumière de la pragmatique. L’auteur collectif du « Manifeste » établit, dès l’abord, des rapports entre lui et ses récepteurs, au premier chef de qui les Hutu, ses congénères. Représentants autoproclamés des Hutus, les auteurs entendent réaliser sur eux un effet d’entraînement universel. Ils se ménagent stratégiquement de solides alliances, qu’ils entendent arracher chez le protecteur du rival, tutsi en l’occurrence. Il ne s’agit donc pas de recherche de médiation, mais d’alliances. Le comportement discursif est à l’emporte-pièce, pour arracher l’assentiment du décideur politique aux doléances et au programme du « Manifeste des Bahutu » et imposer, non la médiation, mais la démission et la défaite du rival.  

Par l’analyse, et par le ton sans doute, sur le concept fondamental de « race », dont il use et abuse, « Le Manifeste » ne marque pas suffisamment de distance vis-à-vis du discours politique et idéologique, pour se rapprocher des critères d’un discours véritablement médiateur, ou même scientifique. Citant K. Popper, Cl. TROISFONTAINE postule : « seule une théorie « falsifiable » peut se présenter comme   « scientifique ». C’est là, selon lui, un critère de démarcation décisif entre le discours scientifique et le discours idéologique (…) Notons également que, très souvent, les discours politiques majorent les confirmations et minimisent les infirmations, ce qui est à l’opposé de l’esprit scientifique11. »  

La majoration des confirmations et la minimisation des infirmations apparaissent dans nombre d’énoncés, au détriment de toute recherche de compromis, dans « Le Manifeste des Bahutu. » Celui-ci ne remplit pas, en cela, la condition jugée essentielle par Jean STAROBINSKI, pour répondre à l’attribut de l’essai: « souci des enjeux, des ouvertures et des sens multiples12. » Immédiation, en somme… Parce qu’il est, non pas philosophique, ni simplement scientifique, mais proprement idéologique, sur les deux questions, délicates entre toutes, d’« ethnocide » et de « races », « Le Manifeste » développe une argumentation aux antipodes de la médiation.  


I.1.3.
UN TEXTE ARGUMENTATIF  

La dominante des actes de langage du « Manifeste des Bahutu » ressortit à la démarche argumentative. L’instrument d’analyse, pour la démarche argumentative, se rapporte à la technique qui régit les textes « dialogiques », conçus sur fond d’une vision antinomique, autour d’un référent donné, où s’observent deux thèses opposées. Le « Manifeste » se trouve être le lieu d’une vision contradictoire du Rwanda, sous le double rapport de la gestion globale du pays, et du projet de société envisagé. Deux thèses se trouvent en présence. D’un côté, la thèse A veut que les Hutus souffrent d’une situation d’injustice qui a par trop duré, du fait de leur appartenance « raciale. » Les Tutsis jouiraient d’un monopole absolu dans l’appareil de l’Etat. Pourraient, d’après cette thèse, témoigner de cette injustice, en partie l’ethnohistoire, et en partie la politique coloniale. Voilà, d’un côté, ou pour la thèse A.  

De l’autre, pour les tenants de la thèse B ou de l’antithèse, la situation d’injustice à l’endroit des Hutu est reconnue, mais pour être, comme le monopole politique, imputé, non aux Tutsis, mais à une politique aussi récente qu’elle est d’origine exogène, coloniale et belge. Ce n’est pas en médiateur qu’est sollicité le lecteur du « Manifeste. » Les auteurs cherchent à gagner, à leur cause, le pouvoir tutélaire belge. Par-delà la persuasion du lecteur, la volonté de le convaincre, la dissuasion et l’éviction de la partie adverse, la batterie de l’argumentation déployée vise à arracher son assentiment à toute personne indécise ou perplexe, devant la problématique de la véritable nature et de la portée réelle des rapports entre Hutus et Tutsis.  

L’appréciation de la lectrice ou du lecteur du « Manifeste » sera d’autant moins biaisée que le plaideur collectif ne se déguise pas, qu’il travestit encore moins les instances de recours, et que le discrédit de la partie adverse comme de ses substituts se trouve sans équivoque. Au plus haut point du discrédit, il sera loisible de lire le procès d’intention qui impute à l’adversaire le refus de la « démocratie. » Or, ce refus n’est pas démontré. À trop loin pousser le préjugé, l’obstruction à la démocratie est un problème, fondamental s’il en est, et qui appellera, de soi, une solution, finale ou radicale. La suite montrera qu’il en va de  ce discrédit comme de ce que dit, ailleurs, Paul VALERY : « Injures, quolibets, etc... sont des marques d’impuissance et même de lâchetés, étant des succédanés pour des meurtres13. »                             Est-il vraiment vérifié que « Le Manifeste des Bahutu » accuse monologisme en toile de fond ? Le durcissement du ton permet-il cacophonie ? Ou y a-t-il symphonie dans l’immédiation ? Toute question est légitime, dit-on : « Il n’y a pas de mauvaise question, seules le sont les mauvaises réponses. » Prévenons donc les objections.  


I.1.4. Un texte polyphonique, ou de monologue ?                                                                                                       

À l’inverse de l’essai, « (…) qui vise moins à résoudre les problèmes qu’à les poser, à les discuter14 (…) », le texte ici n’est pas loin de quelque monologisme, non d’un  monologisme scientifique, comme le serait celui d’un traité, mais de celui de la politique et de l’idéologie, dans le sens où les présente la théorie de la connaissance. A prendre le terme dans la rigueur de sa définition, tout « discours est », certes, « dialogique15 » comme l’affirme Mikhaïl BAKHTINE. En conformité au principe de polyphonie dans tout débat, « Le Manifeste » est articulé au discours d’autrui, dont celui de la partie adverse, qu’il traverse, ou qui le traverse. Mais si l’interdiscours le construit, la part est néanmoins négligeable, du discours hétérogène, ou qui est accordé à l’altérité. Recensez quelques citations saillantes de l’interdiscours, et observez le traitement, par les auteurs du « Manifeste », du discours rapporté, à travers toute la diversité de sa typologie, vous vous en rendrez facilement compte :  

discours direct, discours indirect libre, discours raconté, discours imité, et îlots textuels. Appréciez, en filigrane ou en veilleuse, la présence ou non de la médiation. Discours dont l’énonciateur primaire se trouve être à la fois point d’enregistrement et foyer d’irradiation, accusation en miroir allant jusqu’au spectre de la « destruction massive ou toale», trait d’un négationnisme « tissé  avec » le projet à peine voilé du « génocide16 », économie de réflexion avec tournures en dérision de la partie adverse, annonce pour exhibition, d’une carte d’identité à mention « raciale », métaphores symptomatiques, non de médiation, mais d’un volcan politique en instance d’éruption à l’époque déjà, bref totale immédiation, plus d’une génération avant l’année fatidique 1994… Il n’est donc presque pas de modalité de discours rapporté à laquelle les auteurs du « Manifeste » ne recourent, pour réfuter toute thèse contraire à la leur et, en corollaire, pour se refuser à l’idée, au concept et à la valeur de la médiation. « Le Manifeste des Bahutu », ce faisant, se prête-t-il à l’objectivité ?  La question n’est pas rhétorique, loin s’en faut. 


I.1.5. OBJECTIVITE, OU SUBJECTIVITE ? 

Du genre de l’essai, « Le Manifeste des Bahutu » tient incontestablement la caractéristique qu’en décèle M. LITS, qui est repris dans ces termes, par Michel BAAR et Michel LIEMANS : « l’investissement de l’énonciateur, qui s’affirme personnellement dans son texte, sans recourir à la médiation d’un narrateur fictionnel17. » Tout est dit : « Sans recourir à la médiation de … » sera aussi au figuré, non content de l’être au propre. Que se trahisse la dimension d’immédiation, dans « Le Manifeste des Bahutu », il n’est qu’à voir, pour la démarche scientifique, un discours d’évitement, d’évasion, tablant, non sur le sens bon, ni même sur le bon sens, mais sur le gros bon sens d’une opinion populaire anonyme, à propos du concept décrété opératoire de « race » tout singulièrement. C’est à ne pas s’y méprendre, le « nous » collectif de l’énonciateur, ou le « nous » de l’énonciateur collectif, est omniprésent, sous les dehors d’un « couvert scientifique rigoureux. »  

Dans ce vernis scientifique, l’énonciateur procède moins à l’exploration du contenu du problème « racial » qu’à exposer les développements par lesquels le postulat fictif de la race « se donne ses objets », sur les plans politique, économique, social et culturel. L’auteur collectif de la « Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Ruanda » s’est donc, finalement, inscrit comme non médié, non médiable, dans son « Manifeste. » Les races en présence prétendument attestées, descendraient d’origines mythiques respectivement « bantou » et « hamite. » Leurs variantes locales sont ‘’ Hutu ‘’ pour l’origine mythique « bantou », et ‘’ Tutsi ’’ pour l’origine mythique « hamite. » Deux ans après 1957, soit en 1959, « Le Manifeste-Programme du Parti du mouvement d’émancipation                            ‘’ hutu ‘’, Parmehutu en sigle, et « Les Dix Commandements des Bahutu » se feront-ils l’écho de la réification de mythes générateurs d’immédiation ? 


II. LE MANIFESTE-PROGRAMME du Parti du mouvement d’émancipation
‘’ hutu ‘’ : PARMEHUTU                                                                                                                                      

« Le Manifeste-Programme du Parmehutu » se fera-t-il l’écho de la réification des mythes générateurs d’immédiation ? Pour la fortune ou pour la postérité du « Manifeste » de 1957, « Le Programme du Parmehutu », en 1959, soit deux ans après, recèle une définition des protagonistes à toile de fond racial. Il y a là, consacré, le postulat de « race », idéologiquement affirmé, en totale continuité des mythes qui lui préexistent et en constituent le fondement. La « race » est en effet, non pas scientifiquement attestée, mais postulée en référence à un critère conjoncturel : le statut économique en l’occurrence. « Le Manifeste-Programme » oppose une « race de pasteurs », à celle d’agriculteurs, en état tout aussi contingent de « servage18 . » Des traits sont attachés aux deux « races », traits qui ne leur confèrent aucun caractère ontologique ou intrinsèque. Très vite se trahit la construction de mythes en porte-à-faux : « la houe et la vache sont les deux supports du Rwanda19 », admet « Le Manifeste-Programme », en tout esprit d’inconséquence. On songe, ailleurs, au mot inoffensif de SULLY, Ministre d’HENRI IV, Roi de France : « Labourages et pâturages sont les deux mamelles de la France. » Le plus redoutable survient quand le mythe des « races » en devient opératoire, par-delà le seul Rwanda, déteignant sur tel pays voisin à composantes sociales similaires.   

En témoigne « La lettre  du 14 octobre 1959 à M. le Ministre du Congo Belge et du Ruanda-Urundi » : « Nous soussignés, Présidents des partis politiques ‘’ hutu ‘’ du Ruanda et Bahutu évolués de l’Urundi, nous adressons à vous, en une suprême démarche, avant la Déclaration gouvernementale sur le Ruanda-Urundi20. »  La « race », dans son caractère intrinsèquement binarisant, est l’objet d’une grande préoccupation dans « Le Manifeste-Programme du Parmehutu. » La préoccupation ne vient pas néanmoins répondre à la question : « Qui est Tutsi ou qui est Hutu ? », mais à celle de savoir qui devaient être pris pour tels.  

Pour autant, « Le Manifeste-Programme » n’en concevra pas moins une certaine rigueur, dans la rationalité qui sera la sienne. La préoccupation entend même être étayée par textes législatifs et réglementaires, dont « livrets d’identité21 », et « passeports » à mention « raciale » ou « ethnique. »  C’est que le degré d’assimilation des Tutsis et des Hutus entravait la clarification de l’identité issue des mythes.  Pouvait-il en être autrement, pour des composantes sociales qui cohabitent depuis les temps adamiques ? En droite ligne de l’idéologie du « Manifeste des Bahutu » et du « Programme » politique qui en sera issu, s’inscrit le texte des « Dix Commandements des Bahutu22. » Le décalogue de la « race » tient-il aussi des mythes d’immédiation ? 

  

III. LES DIX COMMANDEMENTS DES BAHUTU                                                                                                  

Parodie ou contrefaçon accomplie des « livres de la Loi », des livres de « Sagesse » et même de la « Promesse », le décalogue des Hutus se veut testament politique et porteur d’espoirs messianiques à la fois. La structure profonde des « Dix Commandements des Bahutu » est bâtie sur la dualité qu’elle et/ou qui l’appelle. Le texte déploie sa structure idéologique autour du noyau des mythes hutu-bantou et hamite-tutsi. Il y a, au Neuvième Commandement, d’un côté les Hutus, qui doivent en appeler à leurs congénères « Bantous de l’extérieur du Rwanda » et, de l’autre, les Tutsis, dont l’extranéité est explicitement posée. Sur le panhutisme étendu à tous les Bantous, le mythe revêt l’universalité de la dimension que la loi requiert. En corollaire à la dualité ainsi postulée, sont corrélés défauts et vices chez les Tutsis, puis, qualités et vertus chez les Hutus, avec, en conséquence, les sanctions positives ici, le châtiment suprême là, comme il est stipulé au Huitième Commandement : « Les Bahutu doivent cesser d’avoir pitié des Batutsi. »   

L’on est, tout bien, ou tout mal considéré, loin d’un pur et simple réemploi des mythes à des fins politiques. L’on est encore bien loin du très simple sens idéologique des mythes. Parlant des « sources élémentaires d’une éthique universelle », quatorze chercheurs instruisent : « Il existe dans la quasi-totalité des traditions culturelles un certain nombre de thèmes récurrents dont il est possible de s’inspirer pour formuler une éthique à caractère universel. Le premier de ces thèmes est l’idée de la vulnérabilité de l’être humain et de l’impulsion morale qui pousse à alléger sa propre souffrance et la souffrance d’autrui chaque fois que possible et à permettre à chacun d’être en sécurité. Cette idée existe dans la doctrine morale de toutes les cultures. Ainsi le maître confucianiste MENG-TSEU remarquait-il voici bien longtemps que « tout homme est saisi de crainte et d’horreur, de compassion et de pitié, à la vue soudaine d’un enfant sur le point de tomber dans un puits… nul n’est indifférent au bien et au mal.  

De même, l’idée qu’il faut traiter autrui comme on voudrait soi-même être traité est présente dans les enseignements moraux de toutes les grandes traditions religieuses.(…) Le désir profondément humain d’éviter les souffrances inutiles et une certaine notion d’égalité fondamentale, sur le plan moral, de tous les êtres humains constituent ensemble un indispensable repère et un solide point d’appui pour toute tentative visant à élaborer une éthique universelle23.  » Toute l’humanité frémit à l’idée que le décalogue « des Bahutu » est consubstantiellement étranger au sens élémentaire de l’humain. L’inhumanité est, en somme, le trait définitoire, l’ADN du « Manifeste des Bahutu », ce texte du 24 mars de l’an 1957.   


CONCLUSION 
 

Il ressort, au terme de l’analyse des éléments et des caractéristiques du « Manifeste des Bahutu » que la pensée de ses neuf auteurs est intimement liée à l’immédiation entre Hutus et Tutsis. Ainsi en sera-t-il aussi des deux textes qui lui sont directement tributaires. L’oblitération de la troisième composante sociale, à savoir les Twa, est, au demeurant, pour radicaliser l’immédiation, tout comme la mise en exergue du clientélisme pastoral (tutsi) susmentionné « UBUHAKE » avec, a contrario, le blackout  opéré sur le système de clientélisme agricole intra-hutu dit « UBUKONDE, pourtant source d’une contradiction majeure entre les Hutus eux-mêmes. Au Rwanda, « Le mal absolu », qui vient de loin, tôt bien avant 1957, n’est pas imputable qu’aux neuf leaders hutus auteurs du « Manifeste des Bahutu. » La responsabilité coloniale y est pour beaucoup : « Avoir analysé et organisé la société rwandaise comme bipolaire, exclusivement autour de la distinction ‘’ Hutu-Tutsi.’’ (…). Avoir analysé et organisé ces deux catégories identitaires comme des réalités raciales. (…). Avoir profondément divisé ces deux groupes et créé les motifs d’une haine durable entre eux, en réservant tous les avantages aux seuls Tutsis jusqu’en 1959, en soutenant brutalement ensuite l’élite hutue dans la répression et l’oppression des Tutsis24 », jusqu’à ce génocide dont les auteurs ne pourront, ni s’essuyer les pieds, ni se laver les mains. 

Dr Jean MUKIMBIRI, Médiateur, Certifié en gestion d’organismes culturels                        

S.G du Réseau International Recherche et Génocide, RESIRG en sigle                   

Téléphone mobile /GSM : 00 32 478 68 67 93. E-mail : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. 


Article pour ŒIL D’HUMANITE
 

Présentation de l’auteur de l’article 

Dr Jean MUKIMBIRI, Médiateur, Certifié en gestion d’organismes culturels                        

S.G. du Réseau International Recherche et Génocide, RESIRG en sigle   

Jean MUKIMBIRI est Docteur en Philosophie et Lettres. Partant d’une hypothèse à potentielle valeur universelle impliquant génocide anti-arménien et génocide anti-juif, sa thèse de doctorat a porté sur le génocide qui a été perpétré contre les Tutsis.  

Egalement Détenteur du Master Européen en Médiation, Dr Jean MUKIMBIRI est, par ailleurs, Certifié en gestion d’organismes culturels. Au départ Professeur de français, il a, chemin faisant, été Inspecteur pédagogique de cette discipline puis Directeur de la Culture et des Arts chaque fois à un niveau national.  

L’intéressé a, enfin, au cours d’une bonne partie de sa longue carrière, collaboré avec les Organisations internationales ci-après : UNESCO, Organisation Internationale de la Francophonie, Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Aujourd’hui âgé de 66 ans, Dr Jean MUKIMBIRI vient de commencer sa retraite. 

 

 

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