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ENTRE « SUBIR » et « CHOISIR »  LA POLITIQUE DE L’UE EN MATIÈRE D’IMMIGRATION ET D’ASILE 

ENTRE « SUBIR » et « CHOISIR »  LA POLITIQUE DE L’UE EN MATIÈRE D’IMMIGRATION ET D’ASILE 

ENTRE « SUBIR » et « CHOISIR »  LA POLITIQUE DE L’UE EN MATIÈRE D’IMMIGRATION ET D’ASILE 

/ SOCIETE / Friday, 16 July 2021 16:14

Par  Dr Jean MUKIMBIRI, Médiateur 

De quels dispositifs institutionnels, légaux et autres, l’Union européenne s’est-elle dotés, pour juguler ce qu’elle appelle « flux, afflux et autres pressions migratoires ? » Nous situons succinctement cette Union européenne, avant l’entrée en matière. Après le départ de la Grande-Bretagne, départ plus connu sous le nom de BREXIT, l’UE est un ensemble constitué de 27 États, dont nous ne reprendrons pas ici la liste, qui reste, au demeurant, ouverte, nonobstant la sortie des Britanniques, à la date du 29 mars 2019. 

L’UE à l’épreuve de flux migratoires et d’attaques-suicides très meurtrières

Que de migrations en direction de l’Europe ! Migrations venant des pays de l’Est, migrations liées au génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda, puis aux crises afghane, libyenne et syrienne, etc. Mais aussi que d’attentats ! Consécutivement aux migrations politiques dues au manque de paix, à la persécution et à la mauvaise gouvernance, suite aux migrations économiques liées à la pauvreté, à de mauvaises conditions de vie, mais aussi sur fond d’autres migrations forcées, dont ils sont le théâtre, les États membres de l’UE se sont donc dotés de dispositifs de contrôle de leurs frontières. De quoi faut-il s’étonner ?

Tenez, pour ces dix dernières années, qui ont vu gérer ce que l’on n’hésite pas à qualifier de plus grand exode observé depuis le Second Conflit mondial. Tenez donc, pour avoir l’idée d’une Europe à l’épreuve du contrôle de ses frontières :

Dans toute l’Union européenne, l'année 2015 commence (…) « avec une hausse de 250 % des franchissements irréguliers de la frontière extérieure de l'Union européenne » indique Fabrice LEGGERI, patron de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'UE (FRONTEX). En 2015 donc, l’UE voit affluer 1.500.000 migrants, dont 1.100.000 sur la seule Allemagne. En 2014, pour la seule Préfecture française du Pas-de-Calais, le nombre d’immigrants a septuplé sur un espace de temps de deux mois. Toujours au Pas-de-Calais, sur un espace de temps de 4 mois, la police française a contenu 18 000 entrées clandestines

Sur ces entrefaites, l’Europe garde, en mémoire vive, les presque 200 victimes des Attentats islamistes de Madrid du jeudi 11 mars 2004.  Ces attentats sont les plus meurtriers ici, après celui de Lockerbie en 1988, avec ses 270 personnes tuées.  L’UE n’est d’ailleurs pas la seule cible d’attentats. Tout l’Occident est visé ; nous le verrons, un peu plus bas. En attendant, on en vient à se demander si, dans l’esprit de nombre d’Européens, lesdits attentats ne sont pas inducteurs d’un certain amalgame, voire d’une association certaine de faits pourtant d’une nature qualitativement différente : faits d’attentats et faits de simple immigration et/ou de demande d’asile.

Bref, on aura compris que, dans la protection de son Eldorado, l’UE se sent envahie, non seulement par toute la violence du monde, mais aussi par « toute la misère du monde », selon le slogan des formations politiques de l’Extrême-droite en France. Voilà qui, à la fois conjoncturellement et structurellement, aura acculé l’UE à mettre en place des dispositifs de contrôle de ses frontières, dispositifs que force est de passer sommairement en revue. Quelles bases et quelles balises posent, progressivement, l’élaboration de la politique d’immigration et d’asile de l’Union européenne ?

De l’Accord de Schengen au Traité d’Amsterdam (de 1985 à 1992)

On garde à l’esprit que l’UE voit le jour en 1992. Sept ans plus tôt, plus exactement le 14 juin 1985, le BENELUX, la France et l’Allemagne signent l’Accord dit de Schengen : du nom de la ville luxembourgeoise où sont signés ces premiers Accords. L’objet en est la gestion de l’immigration et de l’asile dans les pays signataires. L’objectif en sera, dans la future Union européenne, d’ouvrir les frontières, dans leur espace intérieur pour, par la suite, surveiller l’espace aux frontières. Deux ans avant la naissance de l’UE, soit précisément le 19 juin 1990, est prévue la mise en place de l’Accord de Schengen, mais qui ne sera effective qu’en 1995. Nous sommes à la veille du Traité d’Amsterdam.

Du Traité d’Amsterdam au Programme de la Haye, via le Sommet de Tampere (de 1992 à 2004)

Quatre ans après la mise en place effective de l’Accord de Schengen, un nouveau texte normatif acquiert sa validité légale. Il s’agit, en 1999, du Traité d’Amsterdam qui dessine les premiers linéaments de ce qui sera la politique européenne de contrôle des frontières. Les lignes de force en sont définies au Sommet de Tampere, en date des 15 et 16 octobre 1999. Pour la toute première fois, la Communauté européenne se voit confier, notamment, la définition de la « politique commune, en matière d'asile et de migration. » C’est avec le Sommet de Tampere que l’Union européenne se saisit du « régime d’asile européen commun », que suivra Le Programme de La Haye

Du Programme de La Haye au Pacte européen sur l’immigration et l’asile (2004 à 2008)

Adopté en 2004Le Programme de La Haye a cours de 2004 à 2009. La spécificité en est l’ordonnancement des priorités en rapport avec l’immigration et avec l’asile. Il s’agit, en somme, de la confirmation des objectifs du Sommet de Tampere, et de leur traduction dans les faits, à travers un Plan d’action quinquennal. L’accent y est mis, au tout premier chef, sur la sécurité de l’UE. Les temps y appelaient, ou y acculaient. L’année 2001 avait vu les attentats du 11 septembre, dont on frémit encore à ce jour. À peine trois ans après, des attentats de même nature frappaient Madrid, le 11 mars 2004

Même si différents dans leurs moyens d’action, et si inégaux dans l’ampleur de leur capacité de destruction, les attentats islamistes passent pour annoncer l’Apocalypse, démystifiant, ainsi, la puissance sécuritaire de l’Occident tout entier, s’ils devaient perdurer. Tenez : 2.977 victimes à Manhattan, à New York, à Arlington et à Shanksville en Pennsylvanie, en moins de 2 heures, le 11 /09/2001. Prenez la juste estimation : deux « Boeings » contenant, chacunplus de 45.000 litres de carburant, auront foncé comme de véritables bombes aériennes incendiaires ! Des quatre bombes lucifériennes larguées, un vol n’a pas pu atteindre sa cible, à savoir la Capitale de la plus grande Superpuissance militaire du monde. BILAN :

19 terroristes islamistes suicidaires, presque 3000 victimes, dont 310  de 93 nationalités différentes, 343 pompiers tombés sur-le-champ, des victimes pulvérisées, et donc non retrouvées, moins de 300 corps déterrés des décombres du World Trade Center, bref, c’est l’Apocalypse, ou presque…  Cela est nouveau, depuis la Seconde Guerre mondiale, sur les terres de l’Occident. Les événements du 11 septembre 2001 et du 11 mars 2004 seront déterminants. Non contente de se limiter à la seule politique de l’immigration et de l’asile, l’Union européenne se penchera, désormais, vers un angle sécuritaire, aussi. En témoigne Le Programme de La Haye.     

 Le Programme de La Haye placera, sur le même plan paradigmatique, la lutte contre l'immigration irrégulière et la lutte contre la traite d’êtres humains. Est explicite, sous ce rapport, la communication de la Commission sur les priorités d’action en matière de lutte contre l’immigration clandestine de ressortissants de pays tiers. Enfin, et corollairement, dans la communication de la Commission, le même Programme instaure un Plan d’action qui a trait à l’immigration légale.

Les Programmes de Tampere et de La Haye, ayant, respectivement, de 1999 à 2004 et de 2004 à 2009, apporté des retouches voulues mélioratives sur les matières en objet, « Le Conseil européen estime le moment venu de donner une impulsion nouvelle, dans un esprit de responsabilité mutuelle et de solidarité entre les États membres, mais aussi de partenariat avec les pays tiers, à la définition d’une politique commune de l’immigration et de l’asile qui prenne en compte, à la fois l’intérêt collectif de l’UE et les spécificités de chaque État membre. » On aura, chemin faisant, pressenti la signature d’un « Pacte européen sur l’immigration et sur l’asile. »

 Du « Pacte européen sur l’immigration et sur l’asile » au « Programme de Stockholm », (ou de 2008 à 2014 et pour la suite…)

Le processus d’harmonisation des politiques ayant trait à l’immigration, et à l’asile, connaîtra des avancées, dans nombre de domaines. Situons-en le contexte précis, qui prolonge l’esprit des réactions aux attentats susmentionné du                                     11 septembre 2001 et du 11 mars 2004. De fait, le « Pacte européen sur l’immigration et sur l’asile » reprend et se réapproprie l’angoissante préoccupation sécuritaire dont il a, plus haut, été fait mention. Allant beaucoup plus loin, le « Pacte » va diviser la migration en migration « choisie » et en « migration « subie », celle-ci étant à proscrire et à combattre, sur fond de la synergie des États membres. Des campagnes sur des élections présidentielles auront même beau jeu d’en faire des thèmes de prédilection.

C’est à la date du 17 juin 2008 que communication est faite, par la Commission, sur ledit Pacte. À la même date, Décision officielle de son adoption est prise, par Le Conseil européen qui, illico, prend cinq engagements fondamentaux, dont la mise en œuvre sera assurée dans le cadre du Programme de Stockholm qui, en 2010, sera substitué au Programme de La Haye

Des plans quinquennaux et des directives du Programme de Stockholm

Pour précision, Le Programme de Stockholm, qui  prend le relais et la relève du  « Pacte européen sur l'immigration et sur l'asile », est adopté pour entrer en vigueur en décembre 2009Le Programme de Stockholm se décline en Programmes quinquennaux dont le premier va de 2009 à 2014. Restituons, en résumant, quelques-unes des Directives qui en seront adoptées, sur l’axe de temps retenu. 

La Directive "carte bleue’’

Par la Directive de la « Carte bleue », l’UE entend attirer, vers elle, les matières grises les plus qualifiées. Soucieuse, non seulement de développer son économie, mais de la booster, littéralement, Le Conseil européen adopte, le 25 mai 2009, la Directive 2009/50/CE, établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers, aux fins d’un emploi hautement qualifié. Il s’agit là d’« organiser l’immigration légale, en tenant compte des besoins, des priorités et des capacités d’accueil déterminés par chaque État membre et favoriser l’intégration. » 

L’intention n’est pas voilée, de favoriser la fuite des cerveaux. C’est l’ère de la connaissance comme un des nouveaux paradigmes de l’économie. On en retiendra que le regroupement familial y est totalement exclu, pour cette immigration rigoureusement « choisie » à laquelle d’aucuns reprochent un fond de discrimination. Le critère de l’immigration « choisie » implique, de soi, une Directive dite de retour, en cas d’infraction.

La Directive dite de "retour "

De quoi va-t-il s’agir ? De « lutter contre l’immigration irrégulière, notamment en assurant le retour, dans leur pays d’origine, ou vers un pays de transit, des étrangers en situation irrégulière. » La lectrice et le lecteur apprendront que, depuis l’adoption du Traité d’Amsterdam, en 1999, la Commission européenne jouit de la compétence de négocier et de conclure des accords communautaires de réadmission avec des pays tiers. On apprendra aussi, littéralement, que ces accords de réadmission sont des accords de coopération facilitant l’attribution de laissez-passer, par le pays d’origine ou de transit, d’un ressortissant d’un pays tiers sous le coup d’une procédure d’éloignement et dépourvu de passeport.

Les contempteurs de la « Directive de retour » l’ont qualifiée de « Directive de la honte. » C’est dans cette dynamique globale que s’inscrit le Sommet de Séville des 21 et 22 juin 2002.  La politique à l’étude, sous ce rapport précis, ira, dans une Convention ad hoc, jusqu’à intégrer l’aide au développement, ou la coopération, à la gestion concertée des problèmes migratoires à des fins de « réadmission » des personnes expulsées pour immigration irrégulière. 

Critiquée, d’une part, pour ses lacunes en matière des droits de l’homme, du fait, notamment, de possibilité d’emprisonner des migrants, critiquée, d’autre part, pour son non-respect de rapports de force entre pays, « La Directive de retour » l’a été même si, sur un autre plan, l’UE encourage le retour volontaire en direction du pays de transit ou de provenance. On aura, en tout état de cause, compris qu’en a été corsé le renforcement du contrôle des frontières. C’est au point où on ne tardera pas à voir tel Traité et autre Code de visas. 

Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) pour « renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières »  

L’article 67 du Traité sur le fonctionnement de l'UE dispose, notamment, que l’Union européenne « développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l’égard des ressortissants des pays tiers. Aux fins du présent titre, les apatrides sont assimilés aux ressortissants des pays tiers. » 

Il ajoute également qu’elle « œuvre pour assurer un niveau élevé de sécurité par des mesures de prévention de la criminalité, du racisme et de la xénophobie, ainsi que de lutte contre ceux-ci, par des mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et judiciaires et autres autorités compétentes, ainsi que par la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale et, si nécessaire, par le rapprochement des législations pénales. (…) L’Union facilite l’accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière civile. »

Le principe susmentionné de solidarité en faveur des États membres où affluent plus d'immigrants est affirmé, sur fond d’une répartition équitable des dépenses attachées à la surveillance des frontières extérieures de l'UE. Il n’est pas jusqu’à l’établissement d’un Code de visas que n’ait appelé la solidarité.

Le Code de visas

Le régime d’asile européen commun (RAEC) pour « Bâtir une Europe de l’asile » 

Dans son intention déclarée, le RAEC ou « Régime d'asile européen commun » vise à « Bâtir une Europe de l’asile » ou, en clair, à « offrir un statut approprié à tout ressortissant d'un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. » En fait, depuis 1990, le Système dit de Dublinactualisé en 2003, puis en 2013 avait, dans ses objectifs, de déterminer l’État membre responsable du traitement d'une demande d'asile. 

Un critère y est particulièrement décisif : premier pays d’entrée, premier pays responsable. L’efficacité du critère ne tardera pas à montrer ses limites. Très peu de pays étant concernés par ce critère, les pays concernés, voire cernés par la migration en ont vite pointé du doigt les limites. À l’intention déclarée, une lecture un tant soit peu attentive décèle qu’il s’en greffe une autre, à savoir la création d’un partenariat global avec les pays d’origine et de transit. 

 « Créer un partenariat global avec les pays d’origine et de transit favorisant les synergies entre les migrations et le développement »

Préoccupée par la protection de sa « forteresse », l’UE a, entre autres, misé sur la création d’un « partenariat global avec les pays d’origine et de transit favorisant les synergies entre les migrations et le développement. » La volonté est affichée de résoudre, durablement, la question, pour l’UE cruciale entre toutes, d’une immigration qui promet d’être continuellement massive. Le mobile utilitariste de cette politique d’une part et, d’autre part, la non-représentation des pays d’émigration et de transit, tout comme l’inégalité des rapports de force entre les partenaires, hypothèquent la réussite du projet porté par l’UE. Seul peut totalement lui réussir, en interne, et encore, un système intégré de gestion des frontières extérieures.

Le " système intégré de gestion des frontières extérieures "

Si, en principe, il ne peut lui être reproché d’avoir mis en place un " système intégré de gestion des frontières extérieures ", il reste que son bénéfice n’est pas celui de l’Europe de l’immigration et de l’asile, puisque l’Europe s’emploie à barricader, pour fermer l’accès aux demandeurs « extérieurs. » Les vrais objectifs visés en sont lutte contre ce qu’elle appelle immigration irrégulière, lutte contre criminalité transfrontalière et lutte contre le terrorisme.  La recherche avérée de la protection de ses « Frontières extérieures », par l’UE, est attestée par les dispositifs qu’on verra bientôt. L’agence FRONTEX portera-t-elle bien son nom ?

 L’agence FRONTEX 

Forme abrégée de « Frontières extérieures », FRONTEX est l’agence de l’UE qui a, pour mission, de gérer une coopération qui se veut opérationnelle, sous le rapport envisagé. Effectivement opérationnelle de 2014 à 2016, l’agence FRONTEX sera suppléée par une « Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. » On en comprend l’importance au fait que FRONTEX était financée par tous les États de l’espace Schengen. L’importance numérique des membres du personnel entendait se monter à mille cadres et agents, en 2020, tant l’Europe se dit confrontée à une forte pression migratoire. 

Les contempteurs de l’agence FRONTEX lui imputent manque de transparence et impunité des exactions commises par des membres de son personnel. Mais il y a plus, ou pire. C’est au sujet des Accords techniques de FRONTEX avec des pays tiers et avec l’un ou l’autre organisme international. La critique la plus acerbe accuse FRONTEX de négocier et de signer des accords de travail placés sous le signe d’un caractère « technique », aux fins de les soustraire au contrôle démocratique, via les Parlements, alors même que sont en jeu les droits des gens. Sous le parapluie de FRONTEX est née « RABIT », qui est constituée d’équipes d’interventions rapides.

RABIT et Equipes d’intervention rapide aux frontières

Afin d’assurer, aux frontières de l’Union, la sécurité la plus totale, FRONTEX mobilise, dès l’année 2007, des équipes d’intervention rapide aux frontières (RABIT), dès que l’on intercepte la moindre percée de nombreux migrants. Voilà une Europe qui se veut le plus sûre possible.

EUROSUR 

Mais l’Europe a beau se vouloir le plus sûre possible, rien n’y fait. Malgré son budget colossal de 224 millions d'euros pour la période 2014-2020, c’est précisément en 2015 qu’elle a vu affluer un million et demi de migrants. Selon Ziegler : « Pour défendre l'Europe contre les réfugiés (…), l'Union européenne a mis sur pied une organisation militaire semi-clandestine qui porte le nom de FRONTEX […]. Elle dispose de navires d'interception en haute mer rapide et armé, d'hélicoptères de combat, d'une flotte d'avions de surveillance munis de caméras ultrasensibles et de vision nocturne, de radars, de satellites et de moyens sophistiqués de surveillance électronique à longue distance. » 

Mais qu’à cela ne tienne, l’Italie, pour ne citer qu’elle, en viendra à l’opération « Mare Nostrum », pour protéger ses frontières, en 2013. Ne pouvant, à elle seule, stopper la marée humaine de migrants, elle a vu accourir l’UE à sa rescousse, sur fond d’une stratégie nouvelle connue sous le nom de Triton.

La création de Triton

L’opération de l’agence FRONTEX, Triton, est une opération de l'agence, qui est allée du 1er novembre 2014 au 31 janvier 2018. L’objectif en était de soutenir l'Italie alors confrontée à l’impossibilité de contenir l’arrivée de migrants. Elle se verra, vite après, substituée par l'opération Themisplus dévolue, quant à elle, à la sécurité. Nous sommes à une époque où des trafiquants d’êtres humains sont armés.

De 2016 à 2021 : Évaluations et perspectives d’avenir pour l’horizon 2024

Après le pic de 2015, et son million et demi d’immigrants, l’UE réévalue sa politique. Vers la fin de l’année 2020, on constate l’essoufflement du système en vigueur : « L'UE doit surmonter la situation de blocage actuelle et se montrer à la hauteur de la tâche. » Le défi étant européen, l’UE doit « renoncer aux solutions ponctuelles et mettre en place un système de gestion de la migration prévisible et fiable. » Un nouveau pacte est proposé, qui puisse dissiper les disparités dans les approches et harmoniser éléments et facettes de la migration, de la protection internationale et de la sécurité, sur fond de solidarité ou d’un réel partage des responsabilités. Une bien meilleure coopération est même jugée nécessaire avec les pays d’origine et avec les pays de transit. Bref, les discours s’enchaînent, pour se réévaluer, sur fond de critique et d’autocritique, et ce de fond en comble.

Le nouveau discours, qui n’a pas oublié l’attraction « de talents » pour le bénéfice des « économies européennes », ne se limite d’ailleurs pas à la politique générale. Ainsi, par exemple, le déploiement d’un « contingent permanent de garde-frontières et de garde-côtes européens (…) a été prévu à partir du 1er janvier 2021. » La Commission va jusqu’à envisager un « plan d'action global sur l'intégration et l'inclusion pour la période 2021-2024. » Sera progressivement affiné, à cet effet, le système EURODAC : « système d'information à grande échelle contenant les empreintes digitales des demandeurs d'asile et de protection subsidiaire et immigrants illégaux se trouvant sur le territoire de l'UE. »

Aux fins de donner une solide assise démocratique à la nouvelle politique, sont mobilisés, non seulement États membres, mais aussi société civile, partenaires sociaux et, tout naturellement les instances législatives. Tant et si bien qu’est à ratifier, via le Parlement et le Conseil, un « Accord sur l’institution d’une agence de l’Union européenne pour l’asile. » En juin 2021, nous apprenons que « l’actuel Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) sera transformé en une agence à part entière. Celle-ci sera chargée d’améliorer le fonctionnement du régime d’asile européen commun (RAEC) en fournissant une assistance opérationnelle et technique renforcée aux États membres dans le traitement des procédures d’asile nationales et en contribuant à une plus grande convergence dans l’évaluation des demandes de protection internationale. (…) L’Agence européenne pour l’asile aura un mandat plus fort que celui de l’EASO. (…)

À partir du 31 décembre 2023, l’agence contrôlera les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres, le respect ou non des droits fondamentaux, la protection des enfants et le respect des procédures. » Le Parlement européen a obtenu la nomination d’un « responsable des droits fondamentaux » chargé de superviser l’application des droits fondamentaux par l’Agence. (…) Des discussions sont en cours sur la manière de répartir les migrants entre les États membres à l’avenir - le fameux équilibre entre solidarité et responsabilité. C’est aussi la raison pour laquelle le système de surveillance ne sera pas mis en place avant deux ans. »

À la suite de quels faits et de quels facteurs l’UE en est-elle acculée à la nouvelle politique ?

D’UN CÔTÉ, les États de l’Union européenne SUBISSENT l’immigration. En témoigne la carte des routes migratoires : Méditerranée centrale, la route de Ceuta en Espagne, la route de Dakar ou de la Mauritanie qui mène aux îles Canaries, la frontière entre le Maroc et l’Espagne, les côtes libyennes, etc. VOILÀ, D’UN CÔTÉ. MAIS DE L’AUTRE, des constats se dégagent, exemplaires, dans un sens ou dans un autre, pour CHOISIR l’immigration.

Des murs sont dressés, notamment par FRONTEX. Aussi aura-t-on vu, par exemple, en Espagne, le Mur de Ceuta, mur muni de fils barbelés, et le Mur dressé sur l’axe routier Grèce -Turquie, pour ne citer qu’eux. Pire, on aura vu des actions, plus exactement des exactions d’anti-immigrants, des caméras de surveillance, ces caméras qui ne nous montrent pas toujours les morts de la Mer Méditerranée, et des alentours, etc.

Plus fondamentalement, ou pour nous situer sur le plan institutionnel et légal, l’UE s’est dotée de Traités, de Pactes, d’Accords, de Programmes, de Directives, de Règlements et d’autres mécanismes, pour sa gestion de l’immigration et de l’asile. Les propositions en sont généralement données par la Commission européenne et par le Conseil européen. 

Il ressort, de sa politique et de son action, que passablement traumatisée par ce qu’elle appelle flux, afflux ou pression migratoires, l’Union européenne réagit par fermetures et relative autarcie, reconductions aux frontières, procédures de réadmission ou de retour, extraditions collectives, sélection et choix trié sur le volet, etc. Rendons-lui cependant en partie justice. Par-delà les actions citoyennes, de plus en plus nombreuses, et de plus en plus déterminées, en faveur d’immigrants et de demandeurs d’asile, il y a eu de timides avancées, dans le chef de l’Union européenne : regroupement familial, régularisations de séjour pour raisons humanitaires ou médicales, etc.

Ces avancées promettent d’être, au demeurant, plus audacieuses. Le Pacte sur les migrations, de 2020, est une réponse à la crise de 2015La crise de 2015 aura, en effet, montré la difficulté d’une ouverture maîtrisée des frontières, tout comme l’impossibilité d’une fermeture complète. La politique européenne doit naviguer entre ces deux écueils. Sur un sujet aussi complexe, nous conclurons à la manière de Jean STAROBINSKI, ce théoricien de l’essai : « souci des enjeux, souci des ouvertures, et souci des sens multiples. »

Jean MUKIMBIRI

Docteur en Philosophie et Lettres 

Médiateur    

 

 

 
 

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