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De la religion traditionnelle à la religion chrétienne au Rwanda : conflit entre deux cultures. Domination de la religion chrétienne.

De la religion traditionnelle à la religion chrétienne au Rwanda : conflit entre deux cultures. Domination de la religion chrétienne.

De la religion traditionnelle à la religion chrétienne au Rwanda : conflit entre deux cultures. Domination de la religion chrétienne.

/ SOCIETE / الأربعاء, 13 كانون2/يناير 2021 22:21

Par Kamali Fulgence

L’Eglise du christ sur un fond de préjugés raciaux

Alors qu’au début du XIX ème siècle, tous les Rwandais pratiquaient la religion traditionnelle et croyaient en un Dieu unique, Imana, sensible à leur condition, aujourd’hui, environ 93,6% de la population pratiquent la religion chrétienne dont environ 56,5 % de catholiques, le reste de la population se répartissant entre musulmans (4.6%) et ceux qui pratiquent encore la religion traditionnelle (0,1%). Pourtant, la christianisation du Rwanda par les premiers missionnaires de la congrégation des Pères Blancs s’est opérée d’une manière conflictuelle car fondée sur des préjugés plutôt raciaux qui considéraient l’homme noir comme incapable de concevoir dans son esprit le vrai Dieu, le Dieu des rwandais ainsi rejeté alors qu’il ressemblait étrangement au Dieu d’Abraham.

A l’arrivée des missionnaires au 19 siècle, ils ont trouvé un peuple rwandais croyant en un seul Dieu, Imana. Le Dieu des rwandais était pensé comme le Dieu créateur (Rurema), le Dieu source de prospérité (Rugaba), le Dieu source de vie (Rugira), le Dieu source de prospérité (Rugaba), le Dieu qui veille sur nous (Rwagisha), bref un Dieu organisateur du Cosmos, omnipotent, universel. Ce Dieu, pensaient-ils, aimait particulièrement le Rwanda car pour eux, il passait la journée ailleurs dans le Monde et rentrait toujours le soir au Rwanda pour dormir (”Imana yirirwa ahandi igataha i Rwanda”). C’était un Dieu bienveillant envers l’homme sans exiger quelque chose en échange (Imana iraguha ntimugura). Le Dieu des rwandais était un Dieu bon et miséricordieux, un Dieu qui prend soin des plus faibles comme ce proverbe rwandais le dit bien “Imana irebera imbwa ntihumbya” (Le Dieu qui veille sur le plus faible ne regarde jamais de côté). Pourtant, ce Dieu des rwandais, ce Dieu unique ne pouvait pas être le vrai Dieu dans l’esprit des missionnaires. Ni le même Dieu à leurs yeux. Pour eux c’était un Dieu des nègres incapables de concevoir une idée de Dieu de la Bible, Dieu d’Abraham et d’Isaac. C’est pourquoi ils se sont empressés d’emprunter un nom Swahili, Mungu pour remplacer le nom « Imana » des rwandais. Il fallait pratiquer la table rase pour éviter tout équivoque. Il fallait acculturer le rwandais et le convertir à la vraie religion car sa culture était imprégnée de mauvais esprits et il fallait à tout prix qu’il y renonce.

Une conversion émaillée de conflits.

C’est dans cet atmosphère du rejet de l’autre par les colons que certains rwandais ont manifesté des signes de rejet des nouveaux occupants comme par exemple les pillages répétés des caravanes des missionnaires qui se sont manifestés dans presque toutes les missions comme dans l’Est et au Nord du Rwanda.

La figure de proue de cette résistance fut le roi Yuhi Musinga (1895-1930) par son refus catégorique de se convertir au christianisme. Les colons belges avec la complicité des missionnaires l’ont par conséquent détrôné et l’ont exilé comme pour dissuader quiconque oserait dire non à l’évangélisation.

Le roi Yuhi Musinga fut remplacé par son fils catéchumène Mutara Rudahigwa en 1931, ce qui provoqua un changement profond dans les institutions du pays. En effet, cet événement va provoquer un vaste mouvement de conversion qualifié de « tornade du Saint-Esprit » surtout après la proclamation solennelle par le roi Rudahigwa qui consacra son pays le Rwanda au Christ Roi à travers une prière devenue célèbre. Cette conversion plus ou moins violente du Rwanda a ainsi provoqué une rupture dans les modes d’être, de penser et de vivre. Le pays fut contraint à un abandon progressif de son système de

références culturelles, morales et économiques pour en adopter un nouveau très mal maîtrisé par tout un peuple : “Le christianisme missionnaire s’est présenté comme un absolu auquel il fallait adhérer et qui ne devait pas être souillé par des compromissions avec les croyances locales”. La conversion au christianisme signifiait se détourner de sa culture et de ses pratiques ancestrales, considérées comme païennes par essence (Paul Rutayisire, Le remodelage de l’espace culturel rwandais par l’Église et la colonisation, Dans Revue d’Histoire de la Shoah 2009/1 N° 190).

Un rapport de force déséquilibrée

La nouvelle religion s'inscrit non seulement dans un projet spirituel mais aussi dans un nouveau projet politique pour le Rwanda. Le nouveau projet est un tout savamment monté au delà de l'Atlantique à 8.000 km du pays des mille collines. Et pourtant le Rwandais a une spiritualité et une pratique rituelle bien ancrées comme nous l'avons dit plus haut. Mais pour la nouvelle religion ce Rwandais n’existe pas. Il faut le créer et le christianiser, il faut le civiliser car il n’a pas d’âme ni de religion. Un genre de rapport de force "dominant/ dominé" voit ainsi le jour mais il ne se définit pas comme tel car, il vient de l'évangile, il vient de Dieu, il est la vie et donne la vie. La nouvelle religion amène des outils avec elle. Elle plante l'école, elle apprend le code de l'écrit, elle impose la langue de Molière, bref elle " civilise" les indigènes à sa façon. Des outils qui ne sont pas du tout mauvais en tant que tels. Des outils dont la qualité, la pertinence et l’universalité poussent même certains d’entre nous à défendre sans nuance aucune la culture du nouveau dominant en fermant de manière presque béotienne les yeux sur les intentions politico-religieuses du nouveau dominant et les conséquences combien ravageuses sur la vie et le devenir de tout un peuple aujourd’hui meurtri. De manière Machiavelique, la nouvelle religion compose avec l'autorité régnante tout en repoussant le chef critique, résistant et bien aimé par son peuple. Elle construit au sein de son école le projet ethnique hyper-dualiste que le Rwanda n'avait jamais vu auparavant, projet qui finira par transpercer les cœurs et les esprits de toute une nouvelle élite locale et qui gagnera une population qu’il a profondément divisée et paradoxalement hyper christianisée. S’agit-il d’une religion qui développe ou une religion qui sous-développe ? Une religion qui construit ou une religion qui détruit ? Une religion qui libère ou une religion qui aliène ? La réponse à ces questions susceptibles d’en former une et une seule divise gravement la communauté rwandaise toute entière. Et au-delà même de la division de cette communauté elle empoisonne profondément les relations humaines et le projet collectif au sein des enfants de celle-ci. Mais la question a le mérite d'être posée et il est logique que les réponses gardent aussi bien leur pluralité et leur conflictualité. Mais hélas, pluralité et conflictualité que nous n’arrivons pas à inscrire dans une dynamique d’intelligence collective critique nous permettant de construire notre gouvernail à nous comme « peuple rwandais », peuple d’Afrique noire.

Une religion d’Etat

Le catholicisme devint religion d’État, et les Rwandais se convertirent en masse, en suivant l’exemple du roi Mutara et non par conviction. Le Rwanda devint le bon élève, le bon exemple d’un royaume chrétien pour devenir par la suite une république chrétienne pendant la première république (1961-1973) et la deuxième république (1973-1994).

La politique de la « table rase » a fait que le culte de Lyangombe ou de Nyabingi qui sont des cultes aux anciens ont été contraints à la clandestinité mais ils ont toujours survécu tout simplement parce que la pratique restait difficilement contrôlable. Leur résistance est attestée indirectement à travers les plaintes répétées des missionnaires et de leurs auxiliaires contre la persistance de ces cultes présentés, même aujourd’hui, comme un des obstacles majeurs à l’évangélisation. Il était de notoriété publique que ceux qui avaient été baptisés à un âge avancé, continuaient à pratiquer leur religion traditionnelle parallèlement à la religion chrétienne. Les fidèles chrétiens continuaient à pratiquer le kuraguza (consulter le devin) et le guterekera (pratiquer le culte des anciens), même à la veille du baptême. Des enquêtes ont montré que beaucoup de chrétiens, y compris des intellectuels, étaient revenus aux rites traditionnels du kuraguza, du guterekera, du kubandwa qui sont tous des rites visant le culte des anciens.

Les chrétiens vont à la messe et reçoivent les sacrements sans pour autant renoncer aux conseils des médiums traditionnels. Pour la première fois, les Rwandais ont même osé critiquer publiquement le christianisme en le considérant comme une religion d’origine européenne, introduite pour détruire la religion traditionnelle.

Le premier évêque du Rwanda a illustré cet antagonisme entre la religion traditionnelle et la religion chrétienne, vers la fin de sa vie, en regrettant d’avoir évangélisé son peuple en déniant sa capacité de se représenter un Dieu à l’instar des colonisateurs :« Je regrette d’avoir, pendant des années, propagé le christianisme en l’opposant à la religion traditionnelle. Je regrette d’avoir, avec les autres, suspendu le christianisme dans les branches du paganisme comme on suspend une ruche dans les branches d’un arbre (Mgr Aloys Bigirumwami, Umuntu, Nyundo, 1983, p. 29.).

En conclusion, les convertis au Christianisme se définissaient par l’exclusion des autres, les païens. De nouvelles catégories identitaires furent introduites dans la mémoire collective : la séparation du sacré et du profane sur la base d’une vision dualiste de l’univers jusqu’alors étrangère au symbolisme de la société du Rwanda précolonial, la création d’une nouvelle généalogie avec, comme ancêtre éponyme, Jésus-Christ.

Dès le départ, le missionnaire a défini son ennemi :il s’agissait essentiellement des pratiques sauvages des païens. Pour les combattre, il utilisa plusieurs armes, notamment le pouvoir politique, la contrainte et la force. Le groupe de convertis (abakristu) s’est constitué en opposition aux païens (abapagani). Il y avait d’un côté les sauvés et de 1’autre les damnés. Les nouveaux convertis se définissaient aussi comme des étrangers aux valeurs culturelles de leurs ancêtres qu’ils dénigraient systématiquement.

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