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Qu’est-ce que l’identité ?

Qu’est-ce que l’identité ?

Qu’est-ce que l’identité ?

/ SOCIETE / Wednesday, 01 June 2022 19:24

source photo: BDM

Par Dr Danielle Choucroun

« Toute utilisation de la notion d’identité commence par une critique de cette notion »

C. Lévi-Strauss

La question induit la réponse, ou du moins une réponse : l’identité existe.

L’identité n’est pas un concept ou un paradigme : l’identité est une construction culturelle et politique pour légitimer des objectifs.

Sur le plan culturel : l’identité est la rhétorique des luttes violentes : Rwanda, Shoah, Europe du Sud et les autres, les conflits sont qualifiés d’identitaires.

Sur le plan politique : l’identité est l’outil de la discrimination et de la domination accordant des droits aux uns, les enlevant aux autres, l’identité catégorise et infériorise.

Sur le plan individuel : l’identité signifie caractéristiques identiques chez une personne, l’assignant à un sexe, une religion, un Etat. La personne souhaitant modifier son identité est suspectée, interrogée, psychiatrisée et sommée de justifier son choix : Le d’où venez-vous-reste-chez-toi, le pourquoi voulez-vous changer de sexe, Pose-t-on la question allez-vous vivre toute votre vie dans la même religion ou le même sexe ?

Le concept de « crise d’identité » tente alors d’appréhender la nature réelle de l’identité, au prix de la pathologisation pour les évolutions identitaires jugées trop radicales.


Le terme « identité » doit-il être rejeté, et si c’est le cas, un nouvel avenir à nos différences est à créer.


« We have to have an identity » Black Panther Party :


Quel contexte de surgissement de la question identitaire ?

Affaiblissement des mouvements citoyens ouvriers. Panne des « grands récits » : religieux, citoyen, faiblesse des Etats cédant à l’uniformisation du capital. Quête de reconnaissance des étudiants en sciences sociales trop nombreux sur le marché du travail, recherche de distinction sociale, de subsides étatiques.

Démarche capitaliste marchande : marché juteux du glamour identitaire

-changer de prénom (payant auprès de l’officier d’état civil)

-changer de langue, changer de peau

-changer de lieu d’habitation

-changer d’âge par les techniques de rajeunissement, changer de sexe

-changer de poids par les techniques médico-chirurgicales baryatriques.


La question de l’identité suit deux axes :

  1. L’identité émancipatrice qui revendique des droits pour un groupe de personnes.

  1. L’identité repli sur soi qui forclot un groupe, excluant les autres, rhétorique du racisme.

L’identité s’embryonne depuis l’Antiquité avec l’individuation et sa responsabilité citoyenne et religieuse.


L’identité est une relation dynamique :

-entre soi et soi.

-entre soi et les autres, qui affronte :

- les perceptions et la logique.

-la personne et son environnement par le dialogue appartenance /reconnaissance


L’identité est :

-génétique (caryotype), anatomique (organes génitaux).

-génésique : relative aux générations.

-sociale : religieuse, professionnelle, citoyenne, relationnelle (ami de...)

-virtuelle autorisant tous les avatars.


L’identité est constituée par un ensemble de caractéristiques donnant une lisibilité à la personne ou au groupe d’individus :

-les caractéristiques sont spécifiques à la personne : tempérament, aptitudes, corps.

-les caractéristiques sont communes à un ensemble de personnes.


La check liste identitaire comprend ;

-langue, symbole, histoire, mythes : le discours donne sens et cohésion au groupe.

-monuments, architecture.

-musique, folklore, costumes.

-représentations officielles : hymne, drapeau.

-religion, sentiments, émotions permises ou interdites.


Ces constructions identitaires requièrent un territoire qui est l’aspect « charnel » de la Culture. Territoire prend son origine dans « territor » qui signifie répandre la terreur : la messe est dite. « Jus terrendi » : droit de terrifier, il n’est pas question de rapport à la terre (le terroir), mais de rapport aux autres groupes sociaux à tenir à distance.


L’identité réalise un assemblage de caractéristiques et de représentations dans une histoire où réel et fiction se mêlent. Les affiliations sociales attachent la personne au groupe : religion, profession, sport, club, parti politique…le groupe apporte valeurs, significations, objectifs, sous condition de règles de fonctionnement mettant en tension les individualités.


La communauté excède le groupe en transcendant temps et espace : l’appartenance y est un lien symbolique s’exerçant même en l’absence de rapports physiques entre personnes, les liens s’y construisent autour d’un mythe fondateur, animé en particulier lors des commémorations. La matérialité de la communauté est son territoire, terre promise, même si on n’y habite pas


Qu’est-ce qui fait société ? A savoir « un tout qui se reproduit » et qui reproduit les personnes ? Les rapports de parenté (C. Lévi-Strauss) ? Les rapports de production (K. Marx) ? Les rites d’initiation qui structurent la hiérarchie des pouvoirs (M. Godelier) ? Dans tous les cas, les sociétés humaines sont fondamentalement évolutives suivant les progrès techniques et les confrontations plus ou moins violentes entre les différents groupes sociaux, entrainant évolutions et transformations des identités personnelles et collectives, intégration (de nouvelles normes sont intériorisées en gardant sa culture d’origine) et assimilation (abandon total de la culture d’origine).


Sur le plan politique l’identité est une construction sociale performant et légitimant les rapports de pouvoir et ses excès : domination et discrimination mineur, noir, femme, sans-papier, juif, transsexuel, homosexuel…, afin d’attribuer ou d’ôter les droits humains les plus fondamentaux


La Constitution des USA en 1787 donne la citoyenneté aux individus blancs et libres résidents depuis plus de deux ans. La ségrégation officielle prend fin en 1964 sous la présidence de Lyndon B. Johnson, président qui termine le mandat de JFK et effectuera le mandat suivant. Sous son mandat sont assassinés Malcolm X et MLK.


Sur le plan symbolique : l’identité est une énonciation,

-individuelle égocentrée : la personne se met en récit, l’identité est une monade.

-collective par les affiliations : l’identité est un maillon qui donne le sens au récit de la personne en le replaçant dans une histoire qui le précède et l’englobe.


L’identité est un symbole qui affilie, assigne, donne un sens et excède la personne par une histoire qui la précède et la dépasse, et ce faisant lui accorde une valeur spirituelle.


Identité et savoirs

L’identité construit le moi singulier par une somme originale de caractéristiques spécifiques à la personne.

L’identité déconstruit le moi singulier, produit l’uniformité et capture les mentalités par les affiliations culturelles conditions de l’intelligibilité de la personne.

L’identité s’alimente de savoirs élaborés à l’aide de connaissances :


« L’Occident a conçu et formalisé un mode de production des connaissances qui répond aux besoins cognitifs du capitalisme » Quigano. Les connaissances sont parcellisées, la relation à la nature est asservie et mise sous tutelle dans l’objectif de contrôle et de captation des ressources.


La colonialité est ce dispositif de savoir et de pouvoir infiltrant et contrôlant la subjectivité des personnes, selon le mode individualisme/consommation/compétition, ainsi l’expansionnisme ne se limite pas à la géographie mais configure également le mental. L’Occident n’est pas une aire géographique mais constitue bien un système d’articulation du pouvoir.


Sur le plan des savoirs, la production et la diffusion des savoirs occidentaux est impérialiste et rejette tout débat et toute contradiction par :

-minoration des savoirs indigènes.

-captation des mentalités et faible estime de soi conférée aux populations.

-déni d’autres moyens de produire les savoirs.


Le paradigme imposé est le grand récit de la théorie linéaire du progrès démocratique, social, scientifique.


L’épistémologie dominante est décrite par Michel Foucault comme un dispositif de pouvoir excluant les groupes non autorisés, la seule alternative possible est l’assimilation (abandon de la culture d’origine) ou l’invisibilité.

La colonialité démasque l’impensé du rapt de la production des savoirs, savoirs performants les identités conformes au projet politique et économique occidental.

Il ne s’agit pas de rejeter les savoirs occidentaux sous prétexte d’ethnocentrisme, mais d’apporter un savoir épistémique diversifié autonomisé des enjeux politiques, les différences ne devant pas être métabolisées en antagonismes hiérarchisants. Le contexte est celui de la différence : différence sexuelle, différence de mode de vie, différence des croyances et des représentations. Ces différences sont les outils vitaux de constructions des identités et des altérités.


« Stay woke », le « wokisme » est sociologiquement situé : grandes villes, mouvements étudiants plutôt que milieu ouvrier, génération Z plutôt que boomers.


Ces termes apparaissent en 1938 dans la chanson « the scottsboro boys » écrite par Lead Belly qui évoque les longues procédures judiciaires discriminantes subies par de jeunes garçons noirs hâtivement accusés de viol sur des femmes blanches en 1931 en Alabama.


MLK emploie également ces termes dans son discours à l’université Oberlin dans l’Ohio en 1965, en 2008 la chanson D’Erikah Badu donne au refrain « I stay woke » sa viralité animant la prise de conscience des injustices sociales et raciales.


La conscience woke peut être symbolisée par le « triangle militant » (Pap Ndiaye) qui associe la lutte climatique et l’égalité des genres à la base du triangle constituée par la lutte intersectionnelle, lieu de rencontre de la théorie féministe et du discours antiraciste.


Sur le plan historique


Se représenter l’identité requiert d’interrompre le silence sur les moments historiques à qualifier au minimum d’équivoques.

1487 les musulmans andalous sont décapités au couteau par les chrétiens lors de l’occupation de Malaga.

05/1520 les Aztèques sont massacrés par les Conquistadors espagnols le jour de la célébration du Toxcatl dans le temple où a lieu la cérémonie, les Espagnols vont notamment trancher les mains des musiciens.

1619 les premiers esclaves africains sont déportés en Virginie.

1861-1865 Lincoln initie une politique d’émancipation pour les Noirs, Lincoln est assassiné le 14/04/1865 par Wilkes Booth sympathisant sudiste opposé à l’abolition de l’esclavage. Andrew Johnson, ancien propriétaire d’esclaves, lui succède. Le Ku Klux Klan, organisation terroriste suprémaciste blanche, est fondé à l’issue de la guerre de Sécession, les Codes Noirs sont votés limitant fortement les droits des Noirs de façon variable suivant les Etats. Limitation du droit de réunion, interdiction de posséder la terre, interdiction d’exercer certaines professions, interdiction d’accès aux universités, les Noirs sont par voie de fait assignés au travail domestique.


Thèse : « Ce peuple, le Nord, l’Europe a un droit absolu à être le porteur de l’esprit dans ce moment de développement et devant ce peuple, les autres peuples n’ont aucun droit ».


« Ce qui détermine le caractère nègre est l’absence de frein. Leur condition n’est susceptible d’aucun développement, d’aucune éducation » Hegel (1770-1831)


Antithèse : « Hegel est devenu, à peu de frais réflexifs, le bouc-émissaire commode de toutes les turpitudes imposées à la pensée occidentale blanche et coloniale » Jean Copans


Commentaire-synthèse : « peu de frais réflexifs », « bouc-émissaire » : le lecteur appréciera les termes employés (dont le contenu émotionnel brouille la réflexion) pour se sortir de l’angoisse de la pensée hégélienne sus-cité.e, même à l’emporte-pièce et isolée du contexte, la violence symbolique est sans appel


La « Renaissance » fait commencer un modèle expansionniste de pouvoir : la division et la hiérarchisation du travail se structurent du centre vers les périphéries, au centre se trouvent les tâches les mieux payées, à la périphérie l’exploitation de la force de travail contre compensation misérable.


Le complexe politico-militaire contrôle l’ensemble sur le plan matériel, sur le plan symbolique la hiérarchie ethnoraciale et de genre verrouille les représentations.


Aujourd’hui, le discours des « droits humains » s’est substitué à l’imposition de la chrétienté, ayant pour mission de convertir les cultures qualifiées de barbares à la « démocratie libérale », seule forme de démocratie légitime, ignorant les alternatives égalitaires de souveraineté populaire africaines, indigènes ou islamiques. Y compris lors des meilleures intentions, nous devons être vigilants dans notre façon de penser, ressentir et agir pour ce qui nous parait être l’intérêt de l’autre.

« Lutter pour un monde où tous les mondes soient possibles » :

«L’égalité de l’humanité se trouve dans les respect des différences.

C’est dans sa diversité que se trouve sa ressemblance. »


Déclaration pour la vie, 01/01/2021

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