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Pêche : le dilemme de la sécurité alimentaire et de la recherche de devises

Pêche : le dilemme de la sécurité alimentaire et de la recherche de devises

Pêche : le dilemme de la sécurité alimentaire et de la recherche de devises

/ SOCIETE / Wednesday, 15 June 2022 07:01

Par Sneiba Mohamed

Nous étions le « pays du million de poètes », nous sommes devenus celui du million d’autres choses. Un million de politiciens. Un million d’experts « en toutes choses ». Ce « titre » vaut autorité, pour certains, pour s’autoriser à s’exprimer sur n’importe quel sujet ! La politique, les questions de société, le sport, les stratégies de défense et de sécurité, l’économie. L’économie : l’agriculture, l’élevage, les mines (le fer, l’or, le cuivre), les hydrocarbures (le pétrole, le gaz), la monnaie, le commerce, les échanges, la pêche.

La pêche ! Voilà, justement, un secteur qui alimente, depuis quelques jours, de vifs débats. Non pas sur le potentiel permissible, le débarquement au Port de Tanit, l’apport en devises, les accords de pêche et le partenariat « gagnant-gagnant » de la Mauritanie avec l’Union européenne, ou encore la Chine, la Turquie, mais cette fâcheuse question de…farine de poisson (moka). La question est récurrente et mérite d’être tranchée dans le cadre des politiques et stratégies mises en œuvre pour atteindre les objectifs fixés par le gouvernement.

Dans un domaine sensible comme l’économie, les profanes n’ont pas de place. Le langage est celui des chiffres et des indicateurs de performance. Les voix autorisées sont celles qui savent les interpréter. C’est une affaire de raison, pas de sentiments.

Quand on dit, par exemple, que le secteur de la pêche connait actuellement une certaine embellie, les contre-arguments ne tiennent pas face à la réalité : avec une ZEE de 234 000 km2, un potentiel en captures de 1 200 000 t, une flotte artisanale d’environ 7000 embarcations, des exportations de 438,50 M USD et une contribution de 6 % au PIB, le secteur permet, selon les estimations les plus basses, 55.000 emplois (42.000 directs et 13.000 indirects) et représente environ 20 % des recettes budgétaires de l’État. La mise en place de textes réglementant le secteur (comme celui de la « Mauritanisation ») a fortement impacté le sous-secteur de la pêche artisanale, longtemps considérée comme une zone de « non droit ». La réflexion en cours, s’appuyant sur des études et des rencontres scientifiques, comme le récent Symposium international sur les petits pélagiques devrait permettre à la Mauritanie de tirer un meilleur profit d’une ressource halieutique dont la contribution à la résorption du chômage des jeunes et le rôle dans la consolidation de la sécurité alimentaire gagneraient à être compris par les investisseurs en quête de secteurs porteurs.

Le socle de des réformes entreprises pour réaliser de tels objectifs de développement est, incontestablement, la Stratégie 2015-2019 pensée et mise en œuvre pour maximaliser les profits que les Mauritaniens sont en droit d’attendre de l’exploitation de leurs ressources halieutiques. Toute prise de décision se fait sur des bases scientifiques. Avec l’élaboration de tableaux de bord : Stratégies, Plan d’action, Cadre d’investissement, Plans d’aménagement, Procédures, Planning de Formation…L’arrivée à la tête du Département d’un homme qui en maîtrise tous les rouages, pour avoir occupé de hautes fonctions dans le domaine, est perçue, par bon nombre d’observateurs, la volonté exprimé au plus haut niveau de l’Etat, de mettre un terme à la navigation à vue qui avait porté d’énormes préjudices à ce secteur vital pour l’économie nationale.

La Stratégie et celles qui suivront doivent permettre de penser le développement du secteur de la pêche en fonction d’objectifs stratégiques déclinés en objectifs spécifiques pour poser des actes sortant du cadre des généralités et mesurables en termes d’indicateurs. Citons quelques exemples : « définition et adoption d’une clé de répartition des possibilités de pêche entre les segments par pêcherie » ; « adoption d’un régime fiscal spécifique, incitatif et motivant pour les entreprises installées au niveau des nouveaux pôles » ; « construction de débarcadères dans la zone sud du littoral » ; « création d’un label national de qualité des produits de la pêche » ; « actualisation du registre d’immatriculation des navires mauritaniens » ; « institutionnalisation des plans d’aménagement comme mode de gestion au niveau législatif… »

Les accords avec des pays tiers obéissent, quoi qu’on dise, au principe en vogue de « gagnant-gagnant ». Pour s’en rendre compte, il suffit de voir la liste des bénéficiaires de l’appui sectoriel de l’UE incluant les institutions en charge de la surveillance des pêches, la recherche halieutique, les infrastructures portuaires (Nouakchott, Nouadhibou, Tanit), la formation, l’inspection sanitaire, les chantiers navals, le Parc national du Banc d’Arguin, le Parc national du Diawling et le Fonds fiduciaire BACOMAB. Sur ce dernier point, un partenaire loue l’initiative (financement de la protection de la biodiversité à partir d’accords de pêche), initiée par la Mauritanie et constituant une « première » exemplaire pour l’Afrique et l’Union Européenne.

La seule chose sur laquelle on peut être d’accord est : « peux mieux faire », mais là, c’est un autre débat.

Moka, une polémique qui n’en finit pas

Si on en vient à cette histoire de farine de poisson (moka), brandie depuis un certain temps, comme « l’affaire du siècle », on se rend compte que les détracteurs ne mettent en avant que le « quart vide » du verre. La partie pleine (les ¾) ne l’intéresse point.

Ils oublient de souligner, par exemple, que les installations sur terre sont une exigence (de rentabilité) économique évidente. La moindre des avantages de cette mesure est qu’elle permet le contrôle strict d’une activité qui a toujours été pratiquée, en toute illégalité, en haute mer !

Ils ne disent pas également qu’elle génère des bénéficies énormes, en termes d’emplois indirects. Le poisson qui n’avait pas une grande valeur commerciale pourrissait sur la plage des pêcheurs de Nouakchott et dans les zones de pêche tout le long du littoral. C’est ce produit et les déchets qui entrent réellement dans la production de la farine de poisson. Considérer qu’on peut utiliser 4 tonnes de poisson de qualité pour produire une tonne de farine de poisson rapportant entre 1000 et 1500 USD relève de l’absurde.

Pour garantir les besoins en poisson d’une population de moins de 4 millions, l’industrie de la pêche devrait débarquer pour cela environ 45.000 tonnes par an pour la consommation locale (à raison de 15 kg de poisson par personne et par an). C’est 5 Kilogrammes de plus que la consommation de poisson dans les pays d’Afrique de l’Ouest, estimée à un peu plus de 10 kg par personne, souligne un rapport citant la Coalition pour des accords de pêche équitable (CAPE).

Scientifiquement, il est prouvé que la Mauritanie a un potentiel permissible de 1.200.000 tonnes par an. Mais, comprenons une chose. Ce « potentiel » n’est une richesse que s’il est capturé, commercialisé et transformé en devises pour servir le développement du pays ; pas quand on le laisse filer (émigrer) vers d’autres pays qui, eux, ne laisseront pas passer l’occasion de se servir. Ça aussi, les profanes ne le comprennent pas.

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