Par Sneiba Mohamed
La lutte contre la migration irrégulière est un sujet d’actualité dans tous les pays du Maghreb et des pays de l’UE (France, Espagne, Italie, Allemagne, Malte) constituant la « ligne de front », côté européen. Mais les pays de transit et ceux d’accueil doivent aussi compter l’Afrique subsaharienne dans leur lutte contre ce phénomène.
Alors que plusieurs dizaines de Sénégalais en partance pour les Iles Canaries viennent de périr dans l’explosion de leur embarcation de fortune au large de Mbour, 134 personnes viennent d’être sauvées par les garde-côtes mauritaniens au large de Nouadhibou. Malgré la pandémie du coronavirus, des milliers de jeunes subsahariens veulent toujours répondre à « l’appel » de l’Europe.
Les gouvernements africains et de la ligne de front européenne réfléchissent depuis plusieurs années à la meilleure stratégie pour contenir le phénomène migratoire, étant concernés cette poussée migratoire. Pour ce faire, ils comptent agir aussi bien dans sa manifestation légale et humaine, entrant dans le cadre des rapports normaux de mobilité entre pays, que dans sa dimension illégale, objet d’une solide coopération nord-sud.
Ainsi, le contrôle accru des frontières terrestres et de l’espace maritime a permis à la Mauritanie de refouler 9 000 migrants en situation irrégulière vers leurs pays d’origine (ou de départ). En plus de cela, il faut rajouter le démantèlement de 3 réseaux de trafic de migrants, l’arrestation et la présentation de 31 étrangers devant les tribunaux compétents.
En effet, considérée comme un point de transit vers l’Eldorado européen, la Mauritanie n’a cessé de peaufiner une stratégie qui allie fermeté et souplesse avec ses partenaires africains et européens confrontés au phénomène de la migration illégale. Il s’agit de refroidir les ardeurs de ceux qui prennent des risques en tentant la traversée vers l’Europe mais également de traiter avec humanisme ces personnes en détresse. Si le niveau de surveillances des frontières ont été considérablement renforcés, les capacités d’accueil et de prise en charge humanitaire bénéficient elles aussi de l’attention d’un gouvernement soucieux de ne pas faillir à ses engagements internationaux en matière d’aide aux réfugiés, nonobstant l’application stricte de la loi contre le crime organisé.
L’immigration clandestine et le trafic des personnes préoccupent de part et d’autre de la Méditerranée. La pandémie du coronavirus a, certes ralenti le flux mais elle a accentué la précarité des migrants qui frappent déjà les portes de l’Europe et ceux qui se trouvent dans les camps de réfugiés en Afrique, la grave crise sanitaire ayant détourné les esprits d’une crise qui faisait pourtant l’actualité de tous les jours.
Une réponse économique et humanitaire
En 2016, l’Union européenne avait commencé à réfléchir à ce qui ressemble bien à un plan Marshal pour lutter contre l’immigration clandestine venant d’Afrique. Près de 44 milliards d’euros devraient être mobilisés pour développer les économies des pays migratoires.
Investir ou subir, tel est l’implacable dilemme auquel l’Europe fait face. L’Union européenne a fait son choix en optant pour l’investissement. En effet, le 14 septembre 2019, devant le Parlement européen, le président Jean-Claude Juncker avait annoncé un ambitieux plan pour le continent africain et le voisinage immédiat de l’Europe.
Actuellement, chaque semaine, des milliers de migrants prennent d’assaut les côtes italiennes, grecques et turques, en provenance des pays africains. Et une fois à l’intérieur du territoire européen, ils ne veulent plus le quitter. Ainsi, selon les données de l’année 2018, 40% de migrants quittent réellement l’Europe. Les pays émetteurs ne se sentent pas obligés de collaborer et n’ont pas les moyens de gérer une politique de retour de leurs ressortissants. La dislocation des États (Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Yémen) ou leur mise en péril (Mali, Burkina Faso, Niger) font souvent le lit du terrorisme (bien que souvent en amont de certaines crises) mais surtout de l’immigration qui n’est pas toujours une conséquence d’un mauvais développement mais bien de conflits et de guerres.
L’interdépendance entre le développement et l’immigration clandestine est souvent considérée comme évidente par les décideurs politiques. L’aide distribuée contribue certes à stabiliser un pays, mais, si elle est mal gérée, elle peut également aggraver les inégalités existantes.
Pour éviter un travail à rebours, consistant à aider les pays pauvres d’où partent généralement les migrants, la meilleure solution est d’œuvrer pour leur développement et leur sécurité en assurant des échanges équitables. Les matières premières sont certes essentielles pour l’industrie des pays développés mais leur exploitation est un appauvrissement constant des pays du sud. Dans la compréhension de l’immigration, la relation de cause à effet est plus qu’évidente.
Actuellement, ce sont les pays les plus pauvres qui – toujours plus fréquemment – sont le théâtre de conflits violents. Depuis 1990, plus de la moitié des pays pris dans un conflit étaient des pays à faibles revenus. Les statistiques mettent régulièrement en évidence la forte incidence des conflits violents dans les pays les plus pauvres, comme le montre le décompte suivant des pays ayant vécu des conflits : 9 des 10 pays ont l’indice de développement humain (IDH) le plus bas ; 7 des 10 pays ont un produit national brut (PNB) faible ; 5 des 10 pays ont l’espérance de vie écourtée ; 9 des 10 pays ont un taux mortalité infantile et juvénile des plus élevées et 9 des 18 pays dont l’IDH a reculé au cours des années 1990-2000. Un tiers de tous les conflits surgis entre 1990 et 2003 ont frappé l’Afrique, région la plus pauvre au monde. Alors que la tendance aux conflits est sur le déclin, l’Afrique reste embourbée dans toute une série de conflits.
Suscitée par la misère, entretenue par une exploitation sans scrupule, l’immigration illégale pose des problèmes trop graves pour que l’on puisse espérer les analyser et les résoudre sans faire appel à toutes les ressources de la raison.
A cet égard, le constat nous interpelle tous : l’immigration irrégulière, dont les premières victimes sont les immigrés eux-mêmes, fait obstacle à l’intégration des étrangers en situation régulière et comporte, notamment à travers le champ qu’elle ouvre au développement de l’économie souterraine, un risque de déstabilisation sociale.
Il faut donc aider les pays pourvoyeurs de migrants à retrouver leur équilibre. Les frontières fermées et les murs érigés ne constituent que des solutions de circonstances passagères, jamais la recherche d’un compromis entre la sécurité recherchée par les uns et la dignité perdue par les autres. L’aide au développement (APD) doit être la nouvelle arme pour lutter contre l’immigration clandestine, dont les seuls bénéficiaires sont les trafiquants de tous ordres - passeurs, faussaires, nouveaux esclavagistes - qui ont su en faire un marché florissant dont ils exploitent, avec une indéniable créativité, toutes les potentialités, et les terroristes dont l’objectif funeste n’a rien d’humain.
Il faut donc que l’on pense d’abord à tous les préalables nécessaires pour une bonne gestion des crises liées aux questions de développement et de sécurité dans le monde. Et ce, dans le cadre de la coopération bilatérale ou d’actions à mener par les grands ensembles (ONU, UE, UA)