Mais le cas de Paul Biya est singulier. Un cas atypique. Le Cameroun étant l’un des pays d’Afrique qui dispose d’une élite intellectuelle parmi les plus dynamiques et les plus présentes à l’international, l’on se demande comment ce patriarche arrive à se maintenir au pouvoir par des semblants d’élections que l’Occident, pourtant adepte de la démocratisation en Afrique, accepte comme des faire-valoir ?
Élu une première fois le 14 janvier 1984 pour succéder à Ahmadou Ahidjo, Biya rempile sans discontinuer, au terme du pseudo réélections, en 1988, 1992, 1997, 2004, 2011 et 2018. Six mandats ! Une présidence à vie qui se profile à l’horizon, car il voudrait certainement être de la partie en 2023, à 91 ans, si la faucheuse n’intervient pas.
Dans un pays exsangue, politiquement et économiquement à bout de souffle, la dictature de Paul Biya est l’image répulsive d’une Afrique que les hommes politiques et les intellectuels prostituent pour assouvir des intérêts personnels. Un pouvoir au service d’un homme, au détriment des populations. Un pays submergé par les problèmes de sous-développement et de crise politique entre le nord (anglophone), aux velléités séparatistes, et le sud (francophone), unioniste, instrument d’une « souveraineté » habillée en dictature par Paul Biya. Une dictature évolutive, comme la maladie, et qui pourrait aboutir, après la présidence à vie de Biya, à une succession si, comme il se dit de plus en plus à Yaoundé, son fils Franck, 49 ans, homme d’affaires et entrepreneur, et dont de multiples articles de presse parlent de groupes qui le promeuvent comme potentiel remplaçant de son père à la tête du Cameroun !
Le règne de Paul Biya est de ceux qui risquent de provoquer, un jour ou l’autre, un « printemps africain », un tsunami politico-social comme celui qui a emporté le Guide libyen, le président tunisien Ben Ali et celui du Yémen Abdalla Saleh dans ce qui est désormais connu sous le nom de « printemps arabe ». Le pluralisme de façade dans certains pays africains, dont le Cameroun, dénoncé déjà en 1990, par Michel Levêque, alors directeur Afrique au Quai d’Orsay, dans un rapport confidentiel intitulé « Les Relations de la France avec les pays en développement », mettaient en évidence le caractère dévoyé de ce qu’un homme politique camerounais qualifiait de « dictature conviviale. »
Malgré les fréquentes incarcérations de journalistes, écrivains, syndicalistes et activistes, Paul Biya continue toujours à diriger le navire Cameroun. D’aucuns pensent, en cherchant les raisons de cette « tranquillité politique » hors normes, que le Cameroun qui constitue 60 % du PNB de l’ancienne Afrique-Équatoriale française, a su bénéficier de la tolérance de la France face aux dérives affichées du président Biya.
Une situation qui ne saurait durer éternellement tant les scandales de corruption, le clientélisme politique et les faiblesses, de plus en plus apparentes, d’un président qui plie sous le poids de l’âge ne sauraient garantir le maintien d’un système qui fonctionne encore avec les « éléments » du Parti Unique ! Celle de l’époque de Mobutu, d’Eyadema et autres chefs d’Etat africains de l’aube des indépendances.
Au crépuscule de sa vie, Paul Biya aura finalement réussi à échapper au jugement des hommes pour bien des forfaitures, dont des accusations fondées d’enrichissement illicite (En juillet 2009, le rapport de CCFD-Terre Solidaire Biens mal acquis, à qui profite le crime ? revient sur les dépenses pharaoniques du président camerounais et sur sa fortune familiale), mais même après sa mort, il sera soumis au jugement de l’Histoire.