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Interruption volontaire de grossesse

Interruption volontaire de grossesse

Interruption volontaire de grossesse

/ Santé / Saturday, 12 March 2022 20:00
source photo: doctissimo
Par Dr Danielle Choucroun
 
Je vais parler d’un sujet difficile, car ce sujet mobilise immédiatement l’émotion : il s’agit de l’interruption volontaire de grossesse


Des contes de fées qui hantent notre imaginaire, nous avons tous retenu « ils eurent beaucoup d’enfants », mais qu’en est-il réellement dans nos vies ?


La nature est fort malicieuse, la grossesse survient volontiers lorsqu’elle n’est pas voulue, alors que chez celles et ceux qui souhaitent un enfant, l’attente peut être interminable


Les stratégies de contrôle de la fécondité sont très anciennes : les premières techniques d’avortement provoqué sont décrites dans le Papyrus de Petrie 1800 ans avant l’ère chrétienne


La réalisation d’avortements clandestins causant des dommages parfois graves chez les femmes, de nombreux Etats ont fait le choix de dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse et les services de santé ont mis en place une prise en charge spécialisée en faveur des femmes ne voulant pas poursuivre leur grossesse


Entre 2015 et 2019, 121 millions de grossesses non planifiées sont survenues chaque année dans le monde, 73 millions d’avortements ont eu lieu chaque année dans le monde de 2015 à 2019. (Bearak et Al., Lancet Global Health 2020)


La grossesse évolue suivant différentes étapes qui sont parfaitement identifiables sur les images obtenues par l’échographie :

-avant 5 semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire 3 semaines de grossesse, l’embryon n’est pas visible seule apparait une image ronde intra-utérine appelée couramment « œuf », si par la suite la grossesse n’évolue pas et l’embryon est absent, on parle « d’œuf clair » et de fausse-couche

-entre 5 semaines d’aménorrhée et 7 semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire entre 3 et 5 semaines de grossesse, un embryon apparait, à 7 semaines d’aménorrhée il mesure environ 1 cm

-au-delà de 10 semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire 8 semaines de grossesse, l’embryon évolue au stade de fœtus, le fœtus mesure environ 3 cm à 8 semaines de grossesse.

L’aspect anatomique varie donc de façon très importante et rapidement suivant le terme de la grossesse : les images échographiques témoignent de ces changements


Dans la situation où la femme veut interrompre sa grossesse, il est possible dans les premières semaines de prendre des médicaments par voie orale. Au-delà de quelques semaines de grossesse l’action de ces médicaments diminue et le professionnel de santé intervient par un geste chirurgical par les voies naturelles : il s’agit d’une aspiration endo-utérine à l’aide d’une canule.


Ainsi suivant le terme de la grossesse, lorsque la femme ne souhaite pas poursuivre cette grossesse, les professionnels de santé ont recours à des procédures médicales différentes pour des situations anatomiques différentes : l’embryon est absent, ensuite l’embryon est présent, puis l’embryon s’est développé et est devenu un fœtus. Les risques des procédures médicales et chirurgicales sont également très différents : l’aspiration chirurgicale comporte le risque de perforation utérine certes peu important mais non nul, le risque infectieux, le risque hémorragique et le risque anesthésique.


Pourtant à tous les stades de la grossesse, lorsque la femme décide d’interrompre cette grossesse le mot « avortement » est employé pour désigner des situations très différentes, y compris pour désigner une grossesse dont on ne sait pas si elle va évoluer : au premier trimestre de grossesse jusqu’à 25% des grossesses peuvent s’arrêter spontanément


Ma question est : pourquoi employer le même mot si l’état anatomique, le geste médical et le risque relatif à l’intervention sont différents ?


Le mot « avortement » est symbolique et non anatomique : il contient un très fort contenu émotionnel et est connoté très souvent négativement : peur, colère, humiliation de n’avoir pas été capable de contrôler la fécondité du corps, culpabilité, honte.


Le corps a trahi la volonté et souvent cette trahison est renvoyée à charge de la femme par les professionnels de santé : « elle » a oublié sa pilule, « elle » aurait pu mettre un stérilet, « elle » aurait pu faire attention


« Elle » par conséquent ne veut pas que son médecin traitant, son gynécologue soient informés de ce « faux pas » : les femmes redoutent les possibles jugements de l’entourage mais aussi des professionnels de santé


Néanmoins les situations, les modalités d’intervention et les risques sont différents suivant le terme de la grossesse : il n’est pas identique d’avaler des comprimés et de subir une intervention chirurgicale, il n’est pas exact de désigner par un même mot des situations différentes


Nous proposons le mot « contragestion » pour désigner l’interruption de grossesse réalisée dans les premières semaines de grossesse, alors même que ces grossesses précoces peuvent s’interrompre spontanément avec une probabilité allant jusqu’à 25% des cas


Le terme « contragestion » parait juste pour désigner les méthodes de régulation des naissances intervenant après la fécondation, pour les débuts de grossesse, dont l’évolutivité est statistiquement incertaine


Le terme « contragestion » donne une nouvelle représentation de la régulation des naissances intervenant précocement après la fécondation, plus conforme au déroulement de la procédure, la femme ne s’imagine plus qu’à quatre semaines de grossesse elle va expulser un poupon de 300 grammes, ce qui est souvent la représentation portée par le mot avortement.


Evidemment est toujours présente la question de la représentation symbolique et morale de l’interruption de grossesse intervenant lorsque le fœtus est constitué et dont l’aspect se rapproche chaque jour un peu plus du petit humain : « Avant de porter un jugement sur ma vie, chaussez mes souliers, parcourez mon chemin, ressentez mon chagrin et mes pleurs, mes douleurs et ma peur. Eprouvez les années que j’ai passées, tombez là où je suis tombée. Relevez-vous comme je l’ai fait. Et seulement après tout ce temps, vos sentiments vous expliqueront les évènements que nous vivons ».


L’objectif pour les professionnels de santé est d’accompagner la personne dans ce qu’elle a à accomplir, de proposer les représentations les plus conformes au réel par des mots précis qui tiennent compte des connaissances scientifiques actuelles.

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