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Sur le front de la Covid-19, un médecin témoigne

Sur le front de la Covid-19, un médecin témoigne

Sur le front de la Covid-19, un médecin témoigne

/ Santé / Sunday, 18 October 2020 18:56

Par Dr Léonard NDUWAYO

Chef du Pôle de prévention et d’éducation du patient

Groupe hospitalier public du Sud de l’Oise (GHPSO)

C’était une guerre. Une vraie guerre avec tous les ingrédients d’une bataille sans merci, où des soldats sans armes et sans protection se battaient contre un ennemi coriace et invisible. Ce n’était pas un film de science-fiction, mais des scènes réelles. Il y avait même de nouveaux « tirailleurs » venus d’Afrique. Cette pandémie a perturbé nos vies professionnelles et familiales. Certains professionnels de santé ont signalé de grandes souffrances mentales, et beaucoup sont inquiets quant à l’équilibre physique et moral pour les mois à venir. A travers une expérience personnelle, cet article raconte le vécu quotidien à l’hôpital et en famille pour comprendre comment le combat fut rude tant sur le plan médical, moral, éthique et social. Il rend également hommage à la solidarité entre soignants pour un même combat, sauver des vies. L’exception africaine est également abordée pour expliquer pourquoi la catastrophe tant annoncée n’a pas eu lieu. Les mesures prises par les autorités administratives locales ont été salutaires sans oublier le rôle de la diaspora africaine qui en se battant sur le front occidental n’a cessé de lancer des alertes à destination de leur pays d’origine à travers les médias occidentaux et les réseaux sociaux.

Comme une vague de tsunami sanitaire

Quand les premiers cas de Covid-19 sont arrivés dans notre hôpital, le 13 mars 2020, j’étais chef du service de Médecine polyvalente, Endocrinologie, Diabétologie, Nutrition et Neurologie au Centre hospitalier Geneviève de Gaulle Anthonioz de Saint Dizier. Depuis son apparition dans la ville de Wuhan en Chine au mois de novembre-décembre 2019, la maladie s’est propagée rapidement atteignant les cinq continents en quelques semaines. La rapidité de la propagation de la pandémie et la négligence des informations qui venaient de Chine sans oublier les prises de position de responsables politiques mais aussi d’autres leaders d’opinion avec ou sans réelle légitimité scientifique, ont semé le doute dans la population générale. L’urgence chaotique de la situation a provoqué l’utilisation des thérapies non validées scientifiquement mais aussi des comportements passionnels ayant entraîné des tensions au sein des équipes et des messages contradictoires. Il y a même eu du prosélytisme nutritionnel voire religieux sans oublier les théories du complot, « fake news » et autres prophéties « notradamistes ». D’autres grandes épidémies qui ont frappé l’humanité, que ce soit la grippe espagnole, le choléra, la variole, le SIDA, la peste, la tuberculose, la syphilis, la rougeole et l’Ebola, ont fait trembler tous les continents, mais la Covid-19 qui s’est propagée d’une façon très rapide provoquant des décès dans le monde entier reste exceptionnelle.

Les nouveaux tirailleurs sur le champ de la Covid

Dans notre équipe qui se battait sur le front de la Covid-19, il y avait 7 médecins, dont 4 d’origine africaine sub-saharienne, qui se sont battus au côté de leurs collègues français, comme du temps de la première et de la deuxième guerre mondiale. D’autres se battaient sur d’autres fronts, Marc sur le front de l’Est, Jean Jacques et Florent sur le front du Nord, Martin sur le front du Sud, KM sur le front Ouest, Jean Marie au front des vignes de Bourgogne, Ciré sur le front de Normandie, Spéciose sur le front Atlantique. Bien d’autres se battaient sur d’autres fronts. Ces professionnels de santé d’origine africaine, souvent mal payés, travaillant dans des conditions difficiles dans des services durs ont encore une fois apporté leur appui pour sauver la France. Ils ont rempli leur devoir citoyen au péril de leur vie. Quitter son domicile le matin pour aller à l’hôpital était un calvaire. On pouvait recevoir une balle à tout moment venu d’un sniper appelé « Coronavirus ». Il était partout, sur les blouses, les chariots de visite, les tables de travail, les bureaux, les poignets de serrures de porte, les boutons des ascenseurs, sur le sol, les chambres d’hospitalisation, au self (restaurant du personnel) et même dans les chiottes

L’exception africaine

Pourquoi la catastrophe annoncée en Afrique n’a-t-elle pas eu lieu ? Certaines bonnes langues qui ont l’habitude de parler à la place des Africains alors qu’ils n’y ont jamais mis les pieds, avaient prédit un ouragan mortifère. Mais l’Afrique a tenu bon et pour une fois, les autorités politico-administratives ont été à la hauteur de l’événement et ont pris de bonnes décisions. Au début de cette pandémie, toutes les chaînes de télévision et de radio internationales ainsi que la presse écrite parlaient de l’exception africaine tout en prédisant une catastrophe si le continent africain était contaminé au même titre que les autres 4 continents. Jusqu’à l’heure actuelle, l’Afrique comptent très peu de cas et très peu de décès. Contrairement à ce que penseraient certains, le SARS-Cov-2 responsable de la Covid-19 n’est pas « raciste ». Le premier médecin qui est mort en France était noir, Dr Jean-Jacques Razafindranazy, d’origine malgache. La vice-présidente du Burkina Faso, l’ancien président de l’olympique de Marseille, Pape Diouf, le roi du Makossa, le célèbre chanteur camerounais Manu Dibango ont succombé également à la Covid-19. D’autres Africains de couleur noire ont également succombé sous les balles d’un coronavirus d’une autre nature.

L’Afrique a une population jeune et on sait que les jeunes résistent mieux au SARS-Cov 2. Les vieux qui ont été la cible du coronavirus dans les pays occidentaux vivaient dans les maisons de retraites et dans les EHPAD alors qu’en Afrique ils vivent à la campagne pour la majorité et bien entourés par leurs proches sans beaucoup de contact avec les métropolitains. Dans certains pays, l’ouverture d’hôpitaux ou centres de santé dédiés aux patients contaminés, a protégé les hôpitaux traditionnels. C’est le cas du Rwanda, un pays qui avait misé sur un tourisme haut de gamme. Fermer les frontières et les aéroports, informer la population, tester et isoler les personnes contaminées ou suspectes jusqu’aux résultats des tests, sont des mesures qui ont été efficaces. La diaspora africaine a également contribué à l’alerte via les réseaux sociaux et les chaînes d’information occidentales comme la BBC Word qui émet dans plusieurs langues africaines, notamment le Haoussa, le Swahili, le Somali, le Kirundi et le Kinyarwanda. Voilà les recettes qui ont sauvé l’Afrique malgré les faibles moyens.

Conclusion

L’expérience fut éprouvante mais elle a confirmé que la médecine est un noble métier. Les équipes ne se sont jamais senti aussi soudées, médecins, Internes, Infirmières, Aides-soignantes venus de tous les services pour porter main forte, parfois dans des domaines qu’ils ne maîtrisent pas et au péril de leur vie. Il y avait un sentiment très fort que l’on est dans le même bateau qui chavirait et que tout le monde devait ramer dans la même direction. C’était impressionnant. La médecine hospitalière a su trouver en elle-même des forces de créativité, de solidarité, d’innovation organisationnelle. Mais au-delà de ces performances, la Covid-19 a démasqué les failles d’un système de santé mondial fragile et rien ne sera comme avant. Quant aux nouveaux tirailleurs, ils ont encore une fois répondu présents pour sauver l’Occident mais n’ont pas pourtant oublié leur mère Afrique qui s’en sort pas trop mal dans la gestion de la pandémie. Ensemble continuons à connecter nos cerveaux pour le développement de l’Afrique.

Dr Léonard NDUWAYO

Chef du Pôle de prévention et d’éducation du patient

Groupe hospitalier public du Sud de l’Oise (GHPSO)

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