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Congé menstruel : les règles et la règle.

Congé menstruel : les règles et la règle.

Congé menstruel : les règles et la règle.

/ SOCIETE / Tuesday, 29 August 2023 07:10

Le projet de loi concernant le congé menstruel a récemment été adopté en Espagne. Au Luxembourg, la pétition le réclamant, initiée par Ornella Romito, a été débattue à la Chambre des Députés, il y a deux ans.

Où en est-on à la rentrée 2023/2024 ?

Jusqu’à récemment les menstruations restaient confinées à la sphère privée par la force du tabou. Le tabou articule la dualité sacré-profane construisant l’interdit, et surtout maintient les rapports de pouvoir entre les genres. Le tabou se légitime et s’impose comme système d’explication du monde et norme ce qu’il convient de faire. Sur le plan émotionnel, le tabou affronte désir et répulsion : on interdit ce qui est puissamment désiré.

La fonction du tabou est aussi de faire craindre. Il s’agit ici de se tenir à distance des liquides biologiques, constituant peut-être les derniers vestiges des « humeurs » de la Médecine Antique occidentale, et de protéger la procréation.

L’attitude sociétale envers les menstruations est contradictoire : la menstruation est tantôt considérée comme sale et honteuse, tantôt signe de jeunesse et de fécondité. Au 18e siècles, les écoulements physiologiques de sang ne concernaient pas que les femmes : les hommes présentaient des « règles indirectes » lorsqu’ils saignaient par d’autres orifices, ces saignements évacuaient le « trop plein ».

 

 En France le tabou est bien présent à propos de la sexualité et des menstruations : la publicité sur les protections périodiques est interdite jusqu’en 1970. Et ce n’est qu’à partir de 1973, avec la circulaire Fontanet, que les jeunes vont bénéficier d’une éducation à la sexualité, bien que l’application des textes se heurte encore maintenant à de nombreux obstacles, témoignant de la résistance passive à la diffusion des connaissances.

 Dans ce contexte, la prise en charge des menstruations est du domaine de l’aléa : éducation, hygiène menstruelle, douleurs menstruelles sont le plus fréquemment discutées entre pairs, qui apportent soutien et solutions. La situation de l’endométriose illustre parfaitement les conséquences du tabou des règles et de l’ignorance. En février 2022, le gouvernement français, sans doute sous la pression de nombreuses associations, présente son plan gouvernemental de lutte contre l’endométriose, afin de mettre un terme à l’errance des patientes et d’optimiser les pratiques thérapeutiques.

Et pourtant. Avec le congé menstruel, les menstruations font leur apparition dans le champ du droit, interrogeant ainsi une insuffisance de prise en charge en termes de soin. Les menstruations douloureuses sont-elles incurables, imposant l’éviction du travail ? La mise à l’écart pour raison d’impureté fait place à la mise à l’écart pour raison de non-rentabilité. Toujours en France, des groupes politiques déposent des propositions de loi visant à inscrire le congé menstruel dans le Code du travail. Des entreprises et des collectivités ont déjà mis en place des dispositions en faveur des personnes concernées.

 Et pourtant. Précédant l’Espagne, le congé menstruel existe déjà au Japon, en Corée du Sud, en Indonésie, au Zambie, à Taïwan suivant des modalités variables. Ce qui surprend, est le peu de littérature scientifique à ce sujet et surtout l’absence d’enquêtes sociologiques significatives permettant d’évaluer le bénéfice de ces mesures. Parce qu’effectivement, le doute s’installe quant à leur pertinence. Le recours au congé menstruel lorsqu’il existe est particulièrement bas : 0,9% des femmes au Japon, en Indonésie, le congé menstruel peut être ignoré par les employeurs, au Zambie, le congé menstruel appelé « fêtes des mères » reste peu fréquent, par peur des représailles de l’employeur. Le congé menstruel pose la question de l’applicabilité de la loi sur un marché du travail exigeant, compétitif et volontiers sexiste.

 La question du congé menstruel appelle d’autres réponses que la complaisance politique devant cette situation complexe : insuffisance voire absence de moyens matériels à disposition des personnes menstruées sur les lieux de travail, non indemnisation de la maladie lors d’une absence brève, et ceci concernant également la maladie chronique non genrée, et surtout insuffisance de traitement des pathologies (endométriose, ovaires polykystiques, autre) et insuffisance de traitement de la douleur.

  Le non-accès aux soins par manque de médecins et le non-accès aux traitements hormonaux de première ligne, à savoir la pilule, disponible uniquement sur ordonnance, ont acté la rupture entre les professionnels de santé et le public. Manifestement la prise en charge sanitaire de la maladie et la douleur restent médiocres en dépit de l’avancée des moyens techniques et des connaissances, le public, en désespoir de cause, cherche compensation dans le champ du droit.

  La conduite à tenir face à la douleur et à la maladie doit-elle être une nouvelle mise à l’écart des femmes ? Une réponse sérieuse doit être scientifiquement et sociologiquement documentée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, bien que le congé menstruel soit déjà expérimenté dans plusieurs Etats.   

   Le congé menstruel semble ainsi être un nouveau symptôme de rupture du système de santé, n’apportant pas de prise en charge et traitements adaptés à la singularité du corps féminin.

  Ce sujet est présenté au 25e Congrès Genesis les 14 et 15 septembre prochains à Paris.

 

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