source photo: oeil d'humanité
Par Fulgence KAMALI
K.F : VOTRE PARCOURS AVANT D'ETRE CRÉE CARDINAL ?
Je résume mon parcours avant d’être crée Cardinal, le 28/11/2020 en ces points essentiels.
Né le 10 novembre 1958 et baptisé le 27 novembre à Nyamata, Archidiocèse de Kigali.
Les études de l’Ecole primaire et secondaire au Burundi, en Ouganda et au Kenya. Les études de Grand Séminaire au Kenya et au Rwanda.
Le 08 Septembre 1990 : Ordination Presbytérale par le Pape St Jean Paul II à Mbare, Kabgayi lors de sa visite au Rwanda.
De 1990 - 1993 : Préfet des études au Petit Séminaire de Ndera et professeur d’Anglais.
De 1993-1999 : Etudes de spécialisation et recherches doctorales en théologie morale à l'Académie Alphonsiana de Rome.
De 1999 : Directeur de la Caritas Diocésaine et Commission Justice et Paix, Professeur au Grand Séminaire de Nyakibanda et Père Spirituel au Grand Séminaire Propédeutique de Rutongo. :
De 2005 : Recteur du Grand Séminaire Philosophicum de Kabgayi
De 2006 : Recteur du Grand Séminaire de theologie Nyakibanda
De 2013-2018 : Evêque du Diocèse de Kibungo
2018 : Nommé Archevêque de Kigali
27 Janvier 2019 : Prise de possession canonique comme Archevêque Métropolitain de Kigali
K.F : VOTRE DEVISE ? POURQUOI L'AVOIR CHOISI ?
Ma devise est « Ut Vitam Habeant» (Jn 10,10) « Qu’ils aient la vie ».
Au Rwanda nous avons eu une grande perte de la vie humaine et un grand mépris de la vie pendant le génocide perpétré contre les Tutsis et toutes les conséquences de ces conflits. Tenant compte de ce contexte pastoral je me sens envoyer pour prêcher l’Evangile de la vie et faire connaitre Jésus qui nous a révélé sa mission : « Moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles soient en abondance. (Jn 10,10) Dans le monde d’aujourd’hui nous avons une mission de faire comprendre la dignité de la vie humaine. C’est le plus grand don que Dieu nous a donné qui est la base des autres dons toutes les richesses. La vie est menacée par la culture de la mort qui est diffusée de plus en plus dans la société.
À l’image du Christ, le Bon Pasteur, nous devons toujours paître le troupeau qu’il nous a confié de façon à lui donner la vie en abondance non seulement la vie dans le sens physique mais aussi la vie spirituelle. « L’Homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.» (Mt 4,4) C’est la mission principale d’un Le bon pasteur. Il doit prendre soin de ses brebis et les conduire « dans de verts pâturages … et des eaux paisibles » (Ps 23,2) Cela demande d’être toujours auprès du troupeau, l’aimer, le connaître. Dans le langage du Pape François, c’est être des pasteurs qui portent l’odeur des brebis c’est-à-dire « prier avec les réalités de leur vie quotidienne, leurs peines et leurs joies, leurs peurs et leurs espérances. C’est d’ailleurs, rappelait le Pape François, ce que symbolise la chasuble du prêtre : « le prêtre célèbre en chargeant sur ses épaules le peuple qui lui est confié, et en portant leurs noms gravés en son cœur »1.
K.F : EN FAISANT UNE RETROSPECTION AVEZ-VOUS- VU DES SIGNES QUI POUVAIENT VOUS FAIRE PENSER QU'UN JOUR VOUS SEREZ APPELÉ À DE TELLES HAUTES FONCTIONS DANS L'EGLISE CATHOLIQUE ?
Depuis mon enfance j’avais le souhait de devenir prêtre pour servir Dieu en faisant connaitre son amour et son salut au peuple qui fait beaucoup de peine dans des choses qui ne sauvent pas et sans se rendre compte du salut et l’amour de Dieu. Le Seigneur Jésus nous a révélés le secret d’une vie heureuse : «Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu ; et toutes ces choses vous seront données par-dessus ». (Mt 6,33) J’étais prêt à faire la mission que l’Eglise me donnera comme prêtre. Dieu appelle et choisi celui qu’il veut, comment il veut, quand il veut et où il veut. C’est dans cette vision de la foi et la confiance en Dieu, qui est le maître de l’histoire, que j’ai accueilli cette élection de devenir cardinal. Je n’ai jamais pensé qu’un jour je serai Cardinal. Surtout qu’au Rwanda on n’a pas de siège Cardinalice. C’est la première fois dans l’histoire de l’Eglise au Rwanda. Tout est dans le projet de Dieu.
J'ai considéré cette confiance et responsabilité dans l’Eglise comme le plan de Dieu. L'histoire de l'homme passe souvent par des moments heureux, sombres et difficiles, mais rien « ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifestée en Jésus Christ notre Seigneur ». (Rm 8,39 » Le projet de Dieu pour l’homme est impénétrable et échappe la raison et la science humaine comme le chante l’Apôtre Saint Paul dans sa lettre aux Romains : « Ô abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Qui en effet a jamais connu la pensée du Seigneur ? Qui en fut jamais le conseiller ? Ou bien l’a prévenu de ses dons pour devoir être paye de retour ? Car tout est de lui et par lui et pour lui. A lui la gloire éternellement ! Amen » (11,33-36).
K.F : COMMENT CONCILIER VOS ACTUELLES FONCTIONS DANS L'EGLISE CATHOLIQUE AU RWANDA EN TANT QU’ARCHEVEQUE DE KIGALI ET CARDINAL ? SONT-ELLES COMPATIBLES OU VOUS ALLEZ VOUS CONSACREZ AUX FONCTIONS DE CARDINAL ?
Les Cardinaux sont des collaborateurs et des conseillers proches du Pape qui l’aide dans le gouvernement de l’Eglise. Il y a les Cardinaux qui ont les offices à Rome, c’est -à-dire ceux de la Curie romaine, qui sont à la tête des dicastères, à savoir par exemple :
-La secrétairerie d'État ,
-Les congrégations (la congrégation pour la doctrine de la foi ; la congrégation pour les Églises orientales ; la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements ; la congrégation pour les causes des saints ; la congrégation pour les évêques ; la congrégation pour l'évangélisation des peuples, plus connue sous son ancien nom de Propaganda Fide (« propagation de la foi ») ; la congrégation pour le clergé ; la congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique ; la congrégation pour l'éducation catholique). -Les Tribunaux (la Pénitencerie apostolique ; le tribunal suprême de la Signature apostolique , le tribunal de la Rote romaine). -Les Conseils pontificaux ( le conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens ; le conseil pontifical pour les textes législatifs, le conseil pontifical pour le dialogue inter-religieux ; le conseil pontifical de la Culture ; le conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation…).
Mais il y a d’autres Cardinaux qui font leur mission ailleurs, en dehors de Rome, dans les différentes régions du monde, au nom du Pape. Ceux-ci aident le Pape dans le gouvernement de l’Eglise dans ces régions où ils vivent. Ceux-ci sont appelés à Rome quand c’est nécessaire. Ainsi dans les deux cas on reste au service de l’Eglise Universel.
K.F : COMMENT AVEZ-VOUS-ACCUEILLI VOTRE NOMINATION PAR LE PAPE FRANÇOIS ?
J’ai été surpris. Car au Rwanda on n’avait pas le siège Cardinalice. Je ne m’y attendais pas. La nouvelle m’est parvenue tout d’abord à travers les autres qui ont suivi l’annonce du Saint Père lors de l’Angélus du 25 octobre 2020 à la place Saint Pierre de Vatican à 12 heure de Rome (C’est-à-dire 13 heure au Rwanda). Tout d’abord j’ai pris la nouvelle comme « fake news » mais quand j’ai reçu l’appel téléphonique du Nonce Apostolique au Rwanda pour me féliciter j’ai pris la nouvelle au sérieux. Je remercie le Seigneur et je remercie le Saint-Père. En effet c’est la première fois dans l’histoire de l’Eglise Catholique au Rwanda. Ainsi cette annonce a été pour moi une surprise comme les paroles d’Elisabeth à Marie lors de la visitation. Cette dernière a manqué de quoi dire sauf seulement le Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur, parce qu’il a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante… (Lc1, 46-48).
K.F : OÙ EN EST LE PROJET DE CONSTRUIRE LA CATHEDRALE DE KIGALI ? COMMENT LA VOULEZ-VOUS ? COMMENT ELLE SERA FINANCÉE ?
Les Ecritures Saintes nous présentent le Temple comme signe de la présence de Dieu parmi les hommes : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu » (Ap21, 3).
Le projet-Cathédral, est un long projet et qui demande beaucoup de travail, d’expertise et de fonds, car le signe de la présence de Dieu mérite une attention particulière plus que celle que nous portions à nos maisons habituelles. Comme le psalmiste l’affirme : « Je n’entrerai pas dans la tente ou j’habite, Je ne monterai sur le lit ou je repose, Je ne donnerai ni sommeil à mes yeux ni assoupissement à mes paupières, Jusqu’à ce que j’ai trouvé un lieu pour l’Eternel, une demeure pour le puissant de Jacob. » (Ps132(131), 3-5)
Aujourd'hui, nous avons la joie d’avoir le terrain où sera construite la cathédrale. Actuellement nous sommes en train de faire le dessin et le devis pour la réalisation de ce grand projet.
La ville de Kigali est une ville qui grandit chaque jour dans tous les secteurs, mais surtout en termes de densité de population. Nous avons donc besoin d'une cathédrale qui pourra accueillir un nombre suffisant de fidèles, mais aussi une cathédrale qui soit proportionnelle à la ville comme Kigali. Nous espérons qu'avec la diminution de la pandémie, les travaux pourront commencer.
K.F : QU’EST CE QUE VOUS AIMEZ DANS LA VIE ?
Tout d'abord, j'aime Dieu et j’aime bien le servir. Toute ma vie est au service de Dieu et de l'Évangile. Ensuite, dans la vie quotidienne, j'aime servir le peuple de Dieu en général et l’Eglise en particulier surtout pour leur faire connaitre l’amour de Dieu.
K.F : QU'EST CE QUI VOUS A FAIT SOUFFRIR LE PLUS DANS VOTRE VIE ?
Ce qui me fait mal c’est de voir les gens pour lesquels Dieu ne leur dit rien. Une personne qui n’a pas de respect pour Dieu est capable de faire tant de mal aux autres sans aucune culpabilité surtout quand il a le pouvoir sur les autres.
Comme tout rwandais, l’histoire de notre Pays a marqué les points les plus culminants de la souffrance dans ma vie. Avant même le Génocide perpétré contre les Tutsis de 1994, nous avons connu le phénomène dur de l’exil avec toutes ses conséquences. Avec le Génocide perpétré contre les Tutsis de 1994, nous avons beaucoup souffert en perdant toutes nos familles et nos biens. Beaucoup se sont retrouvés seul et sans espoir de vivre après ces évènements, les orphelins, les veuves, les handicapés etc...
C'était une période de souffrance et certains allaient jusqu'à penser, comme le psalmiste, que Dieu lui-même les avait abandonnés : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, insoucieux de me sauver, malgré les mots que je rugis ? Mon Dieu, le jour j’appelle et tu ne réponds pas, la nuit, point de silence pour moi » (Ps 22(21) ,2-3).
K.F : QU'EST CE QUI VOUS A RENDU HEUREUX DANS VOTRE VIE ?
Bien sûr après cette période de souffrance, personne ne peut ignorer la lumière d’espoir qui a brillé sur la terre rwandaise. Après le Génocide beaucoup pensaient que c’était la fin de la vie. Mais petit à petit la vie est revenue. C’était comme une résurrection. Dans la mort est née la vie.
Ça me fait plaisir rendre service aux plus petits qui souffrent et de leur donner l’espoir de la vie après avoir subi tant de mal. Ça me donne grand plaisir quand je vois tant de jeunes qui se donnent cœur et âme pour servir les autres tout en surmontant leur propre histoire de souffrance. Le don de soi au service des autres guérit les blessures. Mais on ne doit pas oublier que nous pouvons rien faire du bien sans l’aide et l’appui de Dieu. En vérité Dieu a accompli chez nous sa parole prononcée à travers le prophète Ezéchiel : « Voici que j’ouvre vos tombeaux ; je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple, et je vous ramènerai sur le sol d’Israël. Vous saurez que je suis Yahvé, lorsque j’ouvrirai vos tombeaux et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple. Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, Yahvé, j’ai parlé et je fais, oracle de Yahvé » (37,12-14). Aujourd’hui, nous avons, grâce à Dieu retrouvé la joie de vivre et l’espérance pour l’avenir.
K.F : VOTRE MESSAGE POUR LES CHRETIENS DU RWANDA QUI ONT TANT ÉTÉ ÉPROUVÉ PAR LE GENOCIDE CONTRE LES TUTSIS ?
Le peuple Rwandais, le peuple qui a tant souffert, a vraiment besoin d’être consolé comme le demande Dieu au prophète Isaïe : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu, parlez au cœur de Jérusalem et criez –lui que son service est accompli, que sa faute est expiée… (Is 40,1-2). Et cette consolation ne peut lui venir que de Dieu. C’est Dieu qui essuiera toute larme de leurs yeux ; qui vaincra la mort qui a envahi la société rwandaise ; Lui seule qui pourra mettre fin aux pleurs, aux cris et aux peines (cf. Apoc 21.4).
Il est normal que pendant ce passage à travers la souffrance atroce, dans la période d’obscurité, certains se moquent du silence de Dieu. Dans ce climat de doute, seul le langage de la croix du Christ peut être la réponse la plus complète à la question de la souffrance.
En effet Jésus Christ s’est fait proche de la souffrance humaine. Il a pris sur lui toutes nos souffrances sur le bois de la croix (cf. 1P 2,24). C’était nos souffrances qu’il portait, « nos maladies dont il était chargé, nos plaies qu’il portait » (Cf. Is 53,4). Mais malgré toutes ces souffrances Il est allé sereinement au-devant des souffrances de sa Passion pour nous faire arriver à la lumière pascale. Il est l’exemple de l’innocent qui souffre volontairement. C’est donc cette croix du Christ qui éclaire la souffrance de l’homme et par la participation à la Passion du Christ, l’homme parvient à participer à la Résurrection du Christ « Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous tenons ferme, avec lui nous régnerons » (2Tm 2,11).
La souffrance fait partie de la vie et elle est inévitable mais comme chrétien la foi nous enseigne à porter notre croix avec le Christ pour porter des fruits du salut. L’Archevêque Américain, le Vénérable Fulton J. Sheen dit qu’il y a les gens qui veulent suivre le Christ sans la croix et il y a les autres qui portent la croix sans le Christ.2
Propos recueillis par Fulgence KAMALI