Par Jean Paul HABIMANA
« Faire le deuil de quelqu’un, commémorer une personne, c’est chercher à redonner de sa dignité au disparu. La dignité ne s’entend pas dans l’impersonnalité, dans l’anonymat, la dignité n’est pas désincarnée. Chaque personne humaine porte, en elle, la forme entière de cette dignité », dixit Dr Jean MUKIMBIRI, Médiateur
Plus d’une soixantaine de survivants ont commémoré, le samedi 17 avril 2021, les victimes du génocide qui a été perpétré contre les Tutsi du Rwanda. Les cérémonies de commémoration ont eu lieu dans la province du Brabant Wallon, en Belgique. Ces cérémonies ont débuté par le dépôt de gerbes de fleurs devant le Mur dédié à la lutte contre l’intolérance, sur la Place des sciences, à l’université Catholique de Louvain.
Un des moments forts a été également consacré à la Messe, à la Chapelle de la Source. Les deux temps ont été suivis par la Commémoration proprement dite, virtuellement, autour d’un ZOOM qu’a suivi une VEILLEE COMMEMORATIVE.
« Verba volant scripta manent »
Les rescapés du génocide qui a été perpétré contre les Tutsi sont unanimes : il faut témoigner, pour que les négationnistes de ces massacres de masse ne trouvent pas de prétextes pour nier le génocide. Mme Liliane KANZAYIRE souligne la nécessité d’apprendre à écrire ce pan sombre de notre histoire : Verba volant, scripta manent : les paroles s’envolent, mais les écrits restent, avertit un adage latin. L’écriture est le seul moyen de garder notre mémoire et notre histoire : « Regrettons que l’oralité domine encore nos témoignages. La mentalité rwandaise ne favorise pas encore assez les mécanismes de l’écriture », déclare Mme KANZAYIRE. On comprend l’importance d’apprendre à nos enfants à écrire notre douloureuse histoire, à la manière de ce que les enfants juifs ont fait en énonçant et en dénonçant, par écrit, le génocide dont leurs ancêtres furent victimes au siècle dernier.
Le devoir de mémoire est un droit pour les victimes du génocide perpétré contre les Tutsi
Les avis sont unanimes. « Seule une véritable connaissance du passé peut entretenir la conscience et le sentiment d’une continuité historique indispensable à la consolidation d’un État », disait Cheikh Anta Diop.
Pour Christophe BOUTON, le devoir de mémoire est une responsabilité envers le passé. L’historien François HARTOG dénonce la notion et la pratique du « présentisme. » Il qualifie la société dans laquelle nous vivons actuellement d’« obnubilée par le présent à court terme, un présent tyrannique qui oublie rapidement le passé et n’anticipe plus l’avenir. » François HARTOG affirme qu’il existe quelques « failles » dans ce présent massif : le souci actuel de la conservation du passé comme le développement des archives, la sauvegarde du patrimoine, les commémorations. L'historien ajoute que les commémorations reconduisent fatalement à ce présent qui « n’a d’autres horizons que lui-même, fabriquant quotidiennement le passé et le futur dont il a, jour après jour, besoin. »
Ce diagnostic vaudrait aussi, pour les nouvelles formes de mémoire, « qu’elle se manifeste comme demande, s’affirme comme devoir ou se revendique comme droit, la mémoire vaut, dans le même mouvement, comme une réponse au présentisme et comme symptôme de ce dernier. » L’expérience et la révolte de cet historien de renom nous apprennent à revendiquer notre droit de devoir de mémoire. De ce fait, le devoir de mémoire ne devrait pas concerner uniquement les rescapés du génocide des Tutsi, mais être aussi l’œuvre de l’humanité tout entière.
Le combat contre les idées des négationnismes doit être universel
La Constitution rwandaise et les lois en vigueur appellent à la lutte contre « l'idéologie du génocide », idéologie qui a, pour élément essentiel, la négation de la qualification du génocide contre les Tutsi et de tous les éléments qui pourraient y concourir. C’est en 2010 que le célèbre historien Jean-Pierre CHRETIEN affirme que le négationnisme du génocide des Tutsi serait « structurel » et aurait un objectif simple et évident : masquer la réalité.
Plusieurs enquêtes et avis de spécialistes dans ce domaine attestent que les idées négationnistes, sont malheureusement, bien répandues dans les sociétés occidentales. A titre d’exemple, le gendarme du GIGN, Thierry PRUNGNAUD, a révélé de fausses informations sur le génocide perpétré contre les Tutsi en avril 1994. Il affirme, en effet dans Le Point et dans une émission de France Culture, en avril 2005, que ses supérieurs hiérarchiques leur expliquèrent, en juin 1994, au début de l’opération Turquoise, que c’étaient les Tutsi qui massacraient les Hutu. Un autre témoignage probant et éloquent est celui du général Roméo DALLAIRE, ancien commandant de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda. Il raconte, dans son livre, qu’il avait perçu des propos négationnistes parmi les officiers français qu’il rencontrait lors de l’opération Turquoise, sur le terrain.
Appelant les rescapés à s’unir, Dr Jean MUKIMBIRI a décrypté les arguties de la révision et de la négation d’un génocide qui ne fait plus l’objet d’un débat d’identification. La sagesse rwandaise nous apprend qu’un seul esprit ne peut pas se suffire. L’union fait la force, renchérit la devise de la Belgique, où s’est déroulée la 27è commémoration des victimes du génocide en cause.
Never again… Plus jamais ça !