Par Fulgence Kamali
Ce qui aggrave la situation de dépendance des pays en voie de développement vis-à-vis des pays riches c’est cette inégalité dans les échanges commerciaux, le vol subtil des hommes et des femmes des pays pauvres qui sont accueillis à bras ouverts à cause de leur intelligence ou de leurs talents rares.
On pourrait illustrer cette échange commercial en considérant par exemple un paysan rwandais, tanzanien ou ougandais qui vend 5 kilos de café brut mais qui sera, avec l’argent reçu, incapable de s’acheter une tasse de capuccino de 170 g dans un grand hôtel à Kigali, à Dar-es-Salaam ou à Kampala. Il en est de même pour celui qui aurait vendu un kilo de thé brut qui ne peut déguster un thé dans un hôtel trois étoiles. Une tasse de cappuccino coûtant environ 2000 Frw alors qu’un kilo de café brut coûte entre 200 et 400 Frw pour le paysan cultivateur, ce qui signifie qu’il lui faut vendre plus de 5 kilos de son café pour pouvoir s’acheter 170g contenu dans cette célèbre boisson d’origine italienne fait à parts égales de café expresso, de lait chaud et de mousse.
Cette inégalité dans l’échange commercial s’explique par la plus-value ou l’intérêt de diffèrent intermédiaires entre le producteur de café ou de thé (le paysan), le vendeur, le transporteur, l’usine de transformation ainsi que le restaurateur. Oui, mais…jusqu’à être incapable de s’acheter une tasse de 170 grammes de café ou de thé alors qu’il a vendu ses 5 kilos de brut, nécessitant des heures et des heures de travail.
Les produits d’exportations tel que le café, le thé, le pétrole, les minerais se vendent à un prix fixé par les bourses financières internationales, ce qui profite très peu au pays producteurs qui pour la plupart ont des richesses colossales dans leur sous-sol (or, diamant, uranium, cobalt, pétrole) tout en restant dépendants et pauvres.
La fuite des cerveaux et de talents aggrave encore cette situation de dépendance endémique
La fuite des cerveaux prive des pays pauvres de cette puissance intellectuelle qui aurait pu changer la situation de producteur et de vendeurs de la matière première vers une situation de pays autonomes et indépendants économiquement.
Des universités américaines et européennes offrent des bourses aux meilleurs étudiants africains, ce qu’on appelle des bourses d’excellence. Pour ces boursiers et leurs pays, les donateurs de ces bourses sont des bienfaiteurs, car ils leur permettent d’accomplir leur rêve de fréquenter des universités prestigieuses telles que Harvard, Massachussetts, London, etc...mais ils ne se doutent pas que c’est du vol intelligent car la plupart de ces surdoués ne reviendront pas travailler pour leur pays d’origine. Ils se verront après leurs brillantes études offrir des emplois bien rémunérés dans des centres de recherche ou dans les universités comme professeurs, dans des grandes usines de transformation des matières premières venues de leurs pays.
Ils sont en quelque sorte d’autres matières premières, car après leurs études ils deviennent plus chers pour leurs pays qui ne peuvent pas se les offrir comme mains d'œuvre. Leurs pays ne sont pas capables de leur offrir un cadre adéquat pour exercer leurs ingéniosités, les salaires ne sont pas à la hauteur de leurs compétences.
Les titulaires de diplômes européens ou américains restent donc dans les pays d’accueil et deviennent des travailleurs immigrés.
Un seul savant qui reste dans ces pays riches perpétue cette domination sur les pays pauvres car ce sont eux qui vont inventer de nouvelles formules chimiques, de nouveaux logiciels qui seront vendus plus cher après la transformation de la matière première venue des pays pauvres. Un cercle vicieux en somme.
Selon l’Unesco en 2008, plus de 30000 Africains titulaires d’un diplôme de 3e cycle universitaire ne vivent pas sur le continent. Ces départs de personnels rares à haut potentiel scientifique et de haute valeur marchande profitent bien sûr aux pays riches.
Une autre forme de fuite de cerveaux concerne les intellectuels africains qui partent en Europe ou en Amérique chercher des emplois mais qui acceptent des tâches manuelles, employés des secteurs dépréciés sans lien avec leur formation universitaire, et qui pensent qu’ils vivent mieux que dans leur pays tout en restant en bas de l’échelle, avec l’espoir que peut-être leurs enfants vivraient mieux dans l’avenir.
Le mythe du mieux vivre européen ou américain pousse certains diplômés à accepter la situation de travailleur et exercer des activités diamétralement opposées à leurs qualifications dans un autre pays. Ils acceptent des emplois tels que veilleur de nuit, manutentionnaire, ouvrier agricole, qui évidemment ne sont pas bénéfiques à l’image sociale de quelqu’un qui a travaillé jour et nuit pour obtenir son diplôme universitaire. Il va sans dire que les pays pauvres sont responsables de ces fuites de cerveaux car ces intellectuels fuient souvent la mauvaise gouvernance et l’absence de liberté fondamentale.
Le sport est aussi un cas de figure pour illustrer cette exploitation des pays pauvres par les pays riches. Le football anglais en est une belle illustration. On compte plus de clubs de fans pour les équipes anglaises (Arsenal, Man U, Chelsea, etc.) que de clubs de fans pour les équipes locales. Les meilleurs footballeurs, les meilleurs athlètes, même les musiciens évoluent dans ces pays riches. Les stades africains ne se remplissent plus parce que les amateurs de football, de basketball, d’athlétisme sont tournés vers les championnats des ligues européennes et américaines. Les salles où se passent ces matchs sont toujours remplies et les abonnements sur les distributeurs de chaînes de télévisions font des affaires colossales en Afrique, car les amateurs de ces matchs sont toujours à jour, ils connaissent tous ces joueurs des grands clubs européens dont parfois les grands talents viennent des pays en développement.
Quelques pistes de solutions
Les politiques des pays en voie de développement doivent tenter de mettre fin à ce cercle vicieux en revalorisant les salaires et les conditions de rétention de ces cerveaux à haute qualité de production qui les aideront à transformer la matière première et de sortir de ce commerce triangulaire comparable à celui de l’époque de la traite des esclaves.
Il faut également mettre en place des politiques de valorisation de potentiels par des promotions internes de ces perles rares.
Une autre solution est de se doter des universités et de grandes écoles sur la terre africaine, parce que le fait d’aller vers l’extérieur pour fructifier sa potentialité intellectuelle est un piège ouvert car une fois fini leurs études, ils se voient proposer des emplois bien rémunérés dans leurs pays d’accueil ou parfois se marient avec leurs femmes pour rester définitivement.
Il est également urgent de réformer le système de recrutement et de gestion du personnel qui est encore rudimentaire en Afrique. Les managers ainsi que les directeurs de ressources humaines doivent être formés de telle sorte qu’ils puissent être des leaders qui attirent et retiennent les talents en leur offrant des perspectives brillantes et qui investissent dans la formation continue des employés.
C’est de cette manière que l’Afrique verra fleurir des industries de transformation, augmenter les emplois et permettre d’augmenter le prix de matière première et permettre au paysan producteur de café de connaître le goût et sa bonne odeur, d’être lui-même capable de s’acheter du cappuccino ou une tasse de café car il aura vu son pouvoir d’achat augmenter. Le mineur aussi pourra également s’acheter un smartphone et nos diplômés hors pair pourront revenir travailler pour les pays qui les ont vu naître et grandir.
Il en va de même pour le sport et le show-business : il faut que les équipes de football, de volley-ball, d'athlétisme et autres deviennent des entreprises commerciales et cessent d’être des instruments de propagande pour certains leaders politiques ou économiques. Cela va engendrer des richesses qui vont retenir les talents et par conséquent attirer les spectateurs et les annonceurs. C’est comme ça que les stades vont de nouveau se remplir par des amateurs de sports pourront de nouveau retrouver le plaisir de voir évoluer les stars sur les terrains africains.
En un mot, il faut qu’il y ait beaucoup de produits haut de gamme « made in Africa » pour que l’Afrique et son peuple sortent de cette pauvreté et de cette dépendance endémique.