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Par Sneiba Mouhamed
Le volumineux rapport de plus de 1000 pages rendu le 26 mars dernier au président Emmanuel Macron par la Commission qu’il avait désignée, en 2019, pour situer la responsabilité de la France dans le génocide contre les tutsi de 1994 a déculpabilisé le gouvernement français de l’époque, « non complice », dans l’exécution des crimes de masse. Toutefois, le rapport entache l’image de la France en la rendant responsable de ce que le document qualifie de « responsabilité politique, éthique, cognitive et morale. »
Dans la Note Préliminaire, il est dit que ce Rapport intitulé « La France, le Rwanda et le génocide contre les Tutsi (1990-1994) » est le fruit de deux années d’investigations menées par « la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide contre les Tutsi ». Un travail d’épluchage qui porte sur près de 8 000 documents, tous rendus communicables et déclassifiés pour plus de transparence.
C’est ce qu’exprimait aussi Macron dans la lettre « mission » adressée, à M. Vincent Duclert, président de ladite commission : « la France commémorera, aux côtés du Rwanda, le 25ème anniversaire du génocide contre les Tutsi. En cent jours, cet événement tragique, que la communauté internationale n’a pas su empêcher, faisait près d’un million de victimes. La France a toujours veillé à honorer le souvenir des victimes et à saluer la dignité des survivants, ainsi que la capacité de réconciliation du peuple rwandais. Je souhaite que ce 25ème anniversaire marque une véritable rupture dans la manière dont la France appréhende et enseigne le génocide des Tutsi, tournée vers une meilleure prise en compte de la douleur des victimes et des aspirations des rescapés ».
C’était il y a deux ans, et la sortie du Rapport devrait permettre de savoir si ces objectifs ont été atteints. L’intitulé du Rapport « la France, le Rwanda et le génocide des tutsi (1990-1994) » montre bien que l’axe de la recherche était de montrer - démontrer - toute corrélation possible entre une Responsabilité étatique et un crime planifié pour être une épuration. La composition de la Commission, avec plusieurs spécialistes en « recherche et enseignement des génocides et des crimes de masse » était une garantie pour le sérieux de l’enquête et son estampillage scientifique. La Commission pense avoir accompli sa mission dans les termes requis, malgré « la complexité des faits et l’exigence d’une recherche méthodique, exhaustive (au regard des sources consultées), contextualisée et critique. » Savoir maintenant si le Rapport servira « à l’apaisement des mémoires et à l’histoire universelle » relève de l’attitude qui lui sera réservé par les principales victimes de ces faits qualifiés de génocide.
Déterminer la responsabilité de la France dans ces faits se trouve entre ces deux limites « engagement/désengagement » au Rwanda. La question vertigineuse qui s’impose à tous : La France a-t-elle une part de responsabilité dans le génocide contre les Tutsi, et si oui, laquelle ?
La relation de l’engagement de la France au Rwanda tente d’expliquer un cheminement qui, au départ, est vu comme « l’ambition d’œuvrer à la démocratisation du pays, conformément aux orientations dessinées par le Président Mitterrand au sommet africain de La Baule ». Paris revendique, à ce titre, sa part dans la conclusion d’accords de paix entre le gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais (FPR), et notamment la signature, le 4 août 1993, des accords d’Arusha en vertu desquels les casques bleus de l’ONU prennent le relais de la présence militaire française. « Quelques mois plus tard, pourtant, le 7 avril 1994, le Rwanda bascule dans un génocide contre les Tutsi de ce pays sont exterminés, ainsi que les Hutu démocrates, ce qui conduit à la disparition de près d’un million de personnes », souligne le Rapport Duclert. Le retour de la France au Rwanda, sous mandat des Nations unies, avec l’opération Turquoise de juin-août 1994 qui vise à « l’arrêt des massacres », change-t-il la nature de l’engagement Paris ?
Cette catastrophe projette sur le continent africain le fait génocidaire mais, aussi, son traitement comme crime contre l’humanité par la communauté internationale, alors que l’Afrique elle-même fait preuve de passivité. La France pèche par un choix stratégique (protection de ses ressortissants) et non humanitaire (non-assistance à personnes en danger) comme cela est dit, expressément, dans la relation des faits par le Rapport : « En aucun cas nos troupes ne devront intervenir dans les combats. Les opérations de maintien ou de rétablissement de l’ordre sont exclusivement à la charge de l’armée rwandaise » (page 130).
Cette attitude qui dénote d’un fiasco de l’Opération Turquoise est rappelé par l’un de ses chefs, le colonel Sartre, qui est particulièrement sévère avec le « grand échec de Turquoise, l’action humanitaire aura été inadaptée et insuffisante, ne répondant pas aux besoins de la population et privant la gestion de crise d’un outil privilégié » (Page 858). Une irresponsabilité partagée par la communauté internationale dans son ensemble accusée de négligence : « Le Rwanda est « le drame absolu », tardivement pris en compte par l’opinion qui a été davantage marquée par l’épidémie de choléra que par le génocide » (page 869). Mais c’est sans doute parce qu’elle est la Nation occidentale la plus impliquée, entre 1990 et 1994, au Rwanda, que la France assume une part de responsabilité non négligeable dans les évènements dramatiques qui ont marqué ce pays au cours de cette période. Responsabilité qui est à la fois « politique, institutionnelle et intellectuelle, mais aussi éthique, cognitive et morale », conclut le Rapport Duclert.
Le Gouvernement du Rwanda a salué ce rapport de la Commission Duclert, qui représente pour lui un pas important vers une compréhension commune du rôle de la France dans le génocide contre les Tutsi de 1994.
Un rapport d'enquête commissionné par le Gouvernement du Rwanda en 2017, dont les conclusions viendront compléter et enrichir celles de la Commission Duclert, sera publié dans les semaines à venir.