Par Sneiba Mouhamed
Le génocide contre les Tutsis ébranle, depuis 1994, la conscience de la communauté internationale, coupable d’avoir laissé faire, ou de n’avoir pas agi à temps. 27 ans que le Rwanda essaie d’exorciser, à chaque commémoration, non seulement le souvenir de ces tueries de masses, mais aussi les malheurs qui s’en sont suivis et qui ont pour noms : disparitions, séparations, traumatismes et luttes contre l’oubli.
En cela, il y a des combats singuliers, menés par des organisations de la société civile, mais aussi par des individus, Rwandais pour la plupart, qui essaient de dépasser ce traumatisme collectif post-génocide pire que la mort elle-même.
C’est le cas notamment de Béatrice MUKAMULINDWA, cette mère rwandaise qui a perdu la trace de ses 3 enfants et de ses deux nièces, lors du génocide contre les Tutsis en 1994, mais qui ne désespère pas de les retrouver un jour. Sans preuve concrète de leur décès, elle refuse de baisser les bras. Elle a parcouru des pays, mené des enquêtes, interpellé des décideurs et des acteurs majeurs de cette sombre période.
Elle a décidé enfin de donner forme à son combat, en créant, en 2013, avec d’autres personnes de bonne volonté ou, mieux encore, de très forte volonté : l’association de droit rwandais « Cri du Cœur d’une Mère qui Espère, CCMES », qui sera reproduite, en 2015, en Belgique, avec les mêmes objectifs : « Rechercher les enfants disparus », « rechercher les membres des familles encore en vie des enfants ignorant leur origine », « accompagner les enfants et les parents tout au long de leur quête, indépendamment de l’aboutissement de ladite quête », « croiser toutes les informations utiles », « inciter les familles d’accueil à rompre le silence dont elles entourent en général l’origine de l’enfant accueilli ou adopté. »
La Lettre-Manifeste du CCMES est un appel adressé aux bonnes volontés pour ne pas classer les disparitions et les tragédies oubliées du Rwanda comme un travail de mémoire se manifestant, tout simplement, par une commémoration annuelle. Une sorte de « réparation », même incomplète, est possible, par la poursuite des investigations destinées à connaître le sort de dizaines de milliers de familles, des jeunes disparus qui ont été coupés de leurs origines, car disséminés au Rwanda, dans les pays limitrophes et de par le monde.
C’est l’exigence d’un apaisement des consciences, mais aussi un signe de respect pour les morts. Savoir est une voie - possible – vers le Pardon et la Réconciliation. C’est l’un des préalables qui fondent l’action du CCMES, refusant l’indifférence et le silence qui empêchent des personnes et des collectivités d’envisager sereinement leur avenir.
Cependant, malgré les efforts de ses membres-fondateurs et de tous les sympathisants, rwandais ou étrangers, le CCMES ne peut assumer, seul, les charges financières et logistiques d’un tel travail de quête de la vérité, d’assistance à des parents et à des enfants dans la recherche des leurs et de la réparation symbolique d’un tort dont une partie est assumée, preuves à l’appui, par la communauté internationale qui n’a pas pu - ou su - prévenir le génocide des Tutsis en 1994.
L’histoire de Béatrice MUKAMULINDWA ouvre donc la voie à une action contre l’oubli. L’exemplarité de son action, faite de demi-victoires et d’échecs plus nombreux, faute de moyens, est un appel au Gouvernement rwandais, à la Belgique et à la communauté internationale, pour accompagner CCMES, moralement et financièrement, dans ce qui est à considérer comme une œuvre utile ; un travail mené par soi, mais pas pour soi, une action sociale hautement humanitaire.
Cela nécessite, plus que jamais, une forte mobilisation d’Organisations comme la Croix-Rouge, le HCR (Haut-Commissariat pour les Réfugiés), l’IRC (International Rescue Committee), le CICR (Comité International pour la Croix-Rouge) et la CEMIR (commission Épiscopale pour les Migrants et les Réfugiés dans cette partie de l’Afrique). La problématique posée par le génocide perpétré contre les Tutsis, à travers ces milliers de disparitions d’enfants devenus aujourd’hui adultes, entre dans le champ d’actions institutionnelles et programmatiques de ces Organisations. Elles devraient emprunter la voie suivie par des associations, au Rwanda et en Belgique, notamment grâce au Centre IRIBA (La source), IBUKA mémoire et justice, les FPS (Femmes Prévoyantes Socialistes), les Territoires de la Mémoire, qui ont senti la nécessité d’accompagner l’ASBL CCMES, dans cette longue quête de la vérité qui reste le seul fil de l’espoir exigeant que l’on passe de soutiens financiers et/ou logistiques ponctuels à la mise à disposition de ressources pérennes, par des institutions et des Organisations dont la vocation humanitaire est certaine.
Ainsi, toutes les mères, sœurs, filles, pères ou frères d’un disparu, lors des tragiques événements du Rwanda 1994, verront, en Béatrice MUKAMULINDWA, cette mère courage, et les personnes de bonne volonté qui appuient son Projet, le reflet de leurs propres causes, ou de de leurs propres drames.